Au Coeur Du Troisième Reich
l’attitude qu’il adoptait d’ordinaire, cette attitude rassurante du Führer infaillible.
Ces illusions et ces chimères étaient en rapport avec les méthodes de travail et de penser peu réalistes de Hitler. En fait, il ne savait rien de ses adversaires et se refusait aussi à utiliser les informations qu’on mettait à sa disposition ; il faisait bien plus confiance, même si elles étaient souvent contradictoires dans le détail, à ses intuitions spontanées, déterminées par un mépris extrême de l’adversaire. Conformément à sa formule préférée selon laquelle il existe toujours deux possibilités, il voulait la guerre à un moment précis qu’il prétendait le plus favorable, et cependant ne s’y préparait pas suffisamment ; il voyait dans l’Angleterre, comme il le souligna une fois, « notre ennemi n° 1 » et espérait arriver à passer un compromis avec elle 5 .
Je ne crois pas qu’en ces premiers jours de septembre Hitler ait été pleinement conscient du fait qu’il avait irrévocablement déclenché une guerre mondiale. Il avait seulement voulu franchir un nouveau pas ; il était certes prêt à accepter le risque qui en découlait, tout comme l’année précédente au moment de la crise tchèque, mais il ne s’était préparé qu’à ce risque et non pas vraiment déjà à la guerre. Sa marine de guerre ne devait manifestement être prête que pour une date ultérieure ; les cuirassés comme le premier gros porte-avions étaient encore en chantier. Il savait qu’ils n’acquerraient leur véritable valeur de combat que lorsqu’ils pourraient affronter l’adversaire en formations à peu près équivalentes. Il évoquait également si souvent la négligence dont avait été victime l’arme sous-marine pendant la Première Guerre mondiale, que probablement il n’aurait pas commencé sciemment la seconde sans avoir à sa disposition une importante flotte de sous-marins.
Toutes préoccupations pourtant disparurent lorsque, dès les premiers jours de septembre, la campagne de Pologne apporta aux troupes allemandes des succès inattendus. Hitler, lui aussi, ne tarda pas, semble-t-il, à retrouver son assurance et par la suite, au plus fort de la guerre, je l’entendis souvent dire qu’il avait fallu que la campagne de Pologne fût sanglante : « Pensez-vous que cela aurait été une chance pour la troupe, si nous avions occupé la Pologne sans combattre, après avoir obtenu, sans coup férir, l’Autriche et la Tchécoslovaquie ? Non, croyez-moi, même la meilleure troupe ne l’aurait pas supporté. Des victoires obtenues sans pertes humaines sont démoralisantes. Ainsi non seulement ce fut une chance qu’il n’y ait pas eu de compromis, mais encore nous aurions dû le considérer comme un préjudice et par conséquent j’aurais dans tous les cas frappé 6 . »
On peut penser qu’il voulait dissimuler par de tels propos l’erreur commise en août 1939 dans ses calculs diplomatiques. Toutefois le général Heinrici me parla, vers la fin de la guerre, d’un discours que Hitler avait prononcé jadis devant les généraux et qui révélait la même tendance belliciste. Voici ce que j’ai noté des propos révélateurs de Heinrici : « Il était, avait affirmé Hitler, le seul depuis Charlemagne à avoir réuni en une seule main un pouvoir illimité. Ce n’était pas en vain qu’il détenait ce pouvoir, il saurait l’utiliser dans un combat auprofit de l’Allemagne. Si l’Allemagne ne gagnait pas la guerre, elle n’aurait pas triomphé dans cette épreuve de force, elle devrait alors succomber et elle succomberait 7 . »
Dès le début, la population avait compris, beaucoup mieux que Hitler et son entourage, tout le sérieux de la situation. Par suite de la nervosité générale, on avait, dans les premiers jours de septembre, déclenché à Berlin une fausse alerte aérienne. Je me retrouvai donc dans un abri antiaérien public, en compagnie de nombreux Berlinois. Ils envisageaient l’avenir avec inquiétude, et dans cet abri le moral était visiblement bas 8 .
Contrairement à ce qui s’était passé au début de la Première Guerre mondiale, aucun régiment ne partit pour la guerre la fleur au fusil. Les rues restèrent vides. La foule ne vint pas sur la Wilhelmplatz réclamer Hitler. Et, dernière touche à ce climat de désolation, une nuit celui-ci fit faire ses valises, les fit charger à bord de voitures pour s’en aller vers
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