Azteca
et
estimables d’une maison. Je leur apprends à se comporter dignement au lieu de
faire des courbettes, à devancer les désirs de leur maître, avant même qu’il
les ait exprimés. Par exemple, un intendant préparera le poquietl de son patron
pour qu’il soit prêt à être fumé. Une gouvernante saura dire à sa maîtresse
quelles sont les fleurs qui vont éclore dans le jardin pour que la dame puisse
prévoir la décoration florale de sa maison.
— Jamais un esclave ne pourra se payer ces leçons, objectai-je.
— Non, bien sûr. Tous mes élèves sont déjà domestiques, comme les
trois vôtres, et c’est leur maître qui paye pour eux. Mais ces cours améliorent
tellement leurs capacités et leur valeur qu’ils peuvent monter en grade à
l’intérieur même d’une maison, à moins qu’ils ne soient revendus avec bénéfice
et dans ce cas, il faut les remplacer. Je prévois qu’il y aura une forte
demande de gens formés par mon école. A l’occasion, je pourrai même acheter des
esclaves au marché, les former, les placer et récupérer mes honoraires sur
leurs gages.
— C’est très intéressant pour eux, pour leurs maîtres et pour toi,
approuvai-je. Tu as eu une idée très astucieuse, Cozcatl. Non seulement tu as
réussi à te faire une place dans la société, mais tu as trouvé une idée tout à
fait nouvelle où personne ne fera mieux que toi.
— Sans vous, Mixtli, je n’y serais jamais arrivé, me répondit-il
humblement. Et je serais encore en train de trimer dans un palais de Texcoco.
Je dois cette chance au tonalli, le mien ou le vôtre, qui a lié nos
existences. »
Et moi aussi, pensais-je, tandis que je rentrais tranquillement chez
moi, je dois beaucoup à un tonalli que j’ai jadis accusé d’être capricieux et
même cruel. Il m’a apporté bien des chagrins, des deuils et des malheurs, mais
il a aussi fait de moi un homme riche qui s’est élevé bien au-dessus de ce que
sa naissance lui promettait, l’époux d’une femme désirable entre toutes et un
homme encore assez jeune pour se lancer dans des aventures passionnantes.
Alors que je regagnais ma maison confortable et les bras accueillants
de Zyanya, l’envie me prit d’exprimer ma gratitude aux dieux. « O Dieux,
dis-je en moi-même, si vous existez et qui que vous soyez, je vous remercie.
Vous m’avez parfois repris d’une main ce que vous m’aviez donné de
l’autre ; mais, dans l’ensemble, vous m’avez donné davantage que vous ne
m’avez pris. O Dieux, j’embrasse la terre à vos pieds. »
Sans doute, les dieux me furent-ils reconnaissants de ma gratitude. Ils
ne perdirent pas de temps car, dès mon arrivée, je trouvai un page du palais
qui m’attendait avec une convocation d’Ahuizotl. Je pris tout juste le temps
d’embrasser Zyanya pour lui dire bonjour et au revoir et je suivis le garçon
jusqu’au palais.
Lorsque je rentrai chez moi, il était fort tard, j’étais vêtu tout à
fait différemment et passablement éméché. Lorsqu’elle m’eut ouvert la porte,
Turquoise oublia instantanément toute la maîtrise de soi qu’elle avait apprise
chez Cozcatl. En voyant la profusion désordonnée des plumes dont j’étais
recouvert, elle poussa un hurlement strident et s’enfuit au fin fond de la
maison. Zyanya arriva alors, l’air inquiet et me dit : « Zaa, comme
tu rentres tard. » Puis, elle eut un petit cri et se recula en
s’exclamant : « Que t’a fait ce monstre d’Ahuizotl ? Ton bras
saigne. Qu’est-ce que tu as aux pieds et sur la tête ? Zaa, réponds-moi !
— Salut, marmonnai-je, stupidement dans un hoquet.
— Salut ? » répéta-t-elle, prise de court. Puis elle
ajouta d’un ton cassant : « Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que tu
es soûl. »
Elle partit en direction de la cuisine et je m’affalai sur un banc, mais
je ne devais pas tarder à me remettre vivement debout, car Zyanya revint avec
un baquet d’eau affreusement froide qu’elle me versa sur la tête.
« Mon casque ! hurlai-je, lorsque j’eus fini de tousser et de
cracher.
— C’est un casque ? » s’exclama-t-elle, tandis que je
m’efforçais de l’ôter et de l’essuyer avant que l’eau ne l’abîme. « J’ai
cru que tu t’étais fourré dans le jabot d’un oiseau géant.
— Femme, lui dis-je, avec la dignité guindée que donne une
demi-ivresse. Tu as failli gâter cette noble tête d’aigle et maintenant, tu me
marches sur les pieds. Regarde…
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