Berlin 36
athlète indisciplinée qui, au lieu de rentrer chez elle, tête basse, après son exclusion, se pavanait partout à Berlin dans le but de le faire enrager.
— Montre-lui ton cadeau, Eleanor !
La nageuse ouvrit la main. Dans sa paume, une croix gammée sertie de diamants.
— Tu auras la même si tu es gentille avec moi, murmura Göring d’une voix mielleuse.
Sur ces mots, il entraîna Helen dans une chambre contiguë.
— Il se fait tard, je dois…, balbutia la jeune fille.
N’y tenant plus, Göring se jeta sur elle et chercha à la déshabiller. Helen se dégagea brutalement en criant.
— Un appel urgent pour vous !
C’était le majordome. Göring pesta, noua le cordon de son peignoir et se dirigea vers le téléphone. Helen en profita pour filer à l’anglaise. Elle sortit dans le jardin et prit ses jambes à son cou. Dix minutes plus tard, au terme d’une course effrénée, la sprinteuse s’arrêta. « J’ai dû pulvériser mon propre record », songea-t-elle, la main posée sur son coeur pour en contenir les battements.
16
Où l’on voit Leni donner des leçons à Claire
Claire Lagarde pénétra dans le château de Ruhwald et gagna la salle de montage où officiait Leni Riefenstahl. La cinéaste avait accepté d’accorder un entretien à L’Auto , à condition qu’il eût lieu aux aurores. Bien qu’elle ne fût pas très matinale, la Française avait obtempéré, soucieuse de ne pas rater l’occasion de rencontrer cette battante dont la notoriété commençait à dépasser les frontières de l’Allemagne et dont le nom était désormais intimement lié aux jeux Olympiques de Berlin. Leni la reçut avec le sourire, visiblement flattée de susciter l’intérêt de la presse française, et s’empressa de lui montrer la maquette grandeur nature du Reichssportfeld qu’elle utilisait pour déterminer l’emplacement exact des caméras lors des briefings qu’elle organisait avec son équipe. Pendant une demi-heure, assises dans la cafétéria du château, les deux femmes discutèrent à bâtons rompus. La cinéaste répondit à toutes les questions et, mise en confiance par la journaliste, déballa tout. Elle lui raconta la visite de Carl Diem, lui exposa les techniques utilisées par son équipe – les rails de travelling le long de la piste du 100 mètres, la caméra-catapulte pour les compétitions de saut, les caméras amphibies pour les épreuves de natation, les lentilles et focales utilisées pour la première fois, le recours à la contre-plongée pour donner plus de majesté aux athlètes –, insista sur le soutien que le Führer lui accordait et, sans citer nommément Goebbels, déplora les agissements de certains jaloux qui prenaient un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. Abordant le volet sportif, elle fit part à Claire de toute l’admiration qu’elle portait à deux athlètes : Jesse Owens, qu’elle avait filmé « en long et en large » lors des quatre épreuves qu’il avait remportées et qui avait accepté de bonne grâce de « rejouer » pour elle certaines scènes, et Glenn Morris, le beau décathlonien qui l’avait embrassée devant des milliers de spectateurs.
— Comment expliquez-vous son geste ? lui demanda Claire, encore sous le choc de cette scène à laquelle elle avait assisté de la tribune de presse.
Leni se gratta la tête, un peu gênée.
— C’est une question très personnelle. Mais je suis prête à y répondre si vous consentez à ne pas publier les confidences que je vous ferai à ce propos.
— Je vous le promets, répliqua la Française en rangeant ostensiblement son crayon et son calepin.
D’un geste machinal, la cinéaste roula une cigarette et l’alluma.
— Il y a des passions auxquelles il est inutile de résister. Elles emportent tout sur leur passage, y compris la raison.
— Mais on risque d’y laisser des plumes, objecta Claire.
— Qu’à cela ne tienne ! Un coeur blessé est préférable à un coeur de pierre… Je ne peux vivre sans aimer et sans être aimée. La solitude m’est insupportable.
Claire lâcha un profond soupir.
— Vous paraissez soucieuse, remarqua Leni.
— J’avais fait le serment de ne plus aimer, déçue par les hommes que je considérais comme des menteurs invétérés, et, à vrai dire, je m’immerge dans mon travail pour ne pas laisser dans ma vie de place à l’amour.
Elle se pinça les lèvres, comme si elle hésitait, puis
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