Bonaparte
de Sa Majesté britannique la grâce de jeter les yeux sur lui pour l’employer n’importe comment ni en quel grade, contre ses implacables ennemis, en daignant lui confier le commandement de quelques troupes auxiliaires, dans lesquelles il pût placer d’anciens officiers fidèles de sa nation et les déserteurs qui pourraient le rejoindre. Le nombre en serait grand dans ce moment, dans les troubles de la République. Le duc d’Enghien, pendant un séjour de deux années sur les frontières de France, a été à portée de s’en convaincre d’une manière positive. »
Joséphine, ayant appris ses projets de la bouche même de son mari, le supplie de ne pas souiller ses mains du sang des Condés.
— Les femmes doivent demeurer étrangères à ces sortes d’affaires, lui répond-il. Ma politique demande ce coup d’État ; j’acquerrai par là le droit de me rendre clément dans la suite. L’impunité encouragera les partis, je serai donc obligé de persécuter, d’exiler, de condamner sans cesse, de revenir sur ce que j’ai fait pour les émigrés, de me mettre dans les mains des jacobins. Les royalistes m’ont déjà plus d’une fois compromis à l’égard des révolutionnaires. L’exécution du duc d’Enghien me dégage vis-à-vis de tout le monde.
Le soir, Joséphine insiste encore et Bonaparte perd patience :
— Allez-vous-en, vous n’êtes qu’une enfant !
— Eh bien, réplique-t-elle, eh bien, Bonaparte, si tu fais tuer ton prisonnier, tu seras guillotiné toi-même, comme mon premier mari, et moi, cette fois, par compagnie avec toi !
Bonaparte hausse les épaules. Les femmes n’entendent rien à la politique : c’est là une pensée bien ancrée chez lui. Murat prend son courage à deux mains et montre sa désapprobation. Bonaparte lui répond :
— Citoyen Murat, si le duc de Berry était à Paris logé chez M. de Cobenzl, et M. d’Orléans logé chez le marquis de Gallo, non seulement je les ferais arrêter cette nuit et fusiller, mais je ferais aussi arrêter les ambassadeurs et leur ferais subir le même sort ; et le droit des gens ne serait en rien compromis... Il n’y a d’autre prince à Paris que le duc d’Enghien qui arrivera demain à Vincennes. Soyez certain de cela et ne souffrez même pas qu’on vous dise le contraire.
Fouché aura-t-il plus de chance ? Il arrive à Malmaison le matin à neuf heures. Bonaparte se promène à grands pas dans le parc :
— Je vois, lui dit-il ce qui vous amène. Je frappe aujourd’hui un grand coup qui est nécessaire.
« Je lui représentai alors qu’il soulèverait la France et l’Europe, raconte le régicide, s’il n’administrait pas la preuve irrécusable que le duc conspirait contre sa personne à Ettenheim. »
— Qu’est-il besoin de preuve ? s’écrie Bonaparte. N’est-ce pas un Bourbon, et de tous le plus dangereux ?
Fouché. insiste, expose « des raisons politiques propres à faire taire la raison d’État ». C’est en vain. Le consul finit par lui dire avec humeur :
— Vous et les vôtres n’avez-vous pas dit cent fois que je finirais par être le Monk de la France et par rétablir les Bourbons ? Eh bien, il n’y aura plus moyen de reculer. Quelle plus forte garantie puis-je donner à la Révolution que vous avez cimentée du sang d’un roi ? Il faut d’ailleurs en finir. Je suis environné de complots. Il faut imprimer la terreur ou périr.
Dans l’après-midi, le Consul se rend à Paris pour tenir conseil aux Tuileries. La réunion terminée, avant de regagner Malmaison, il dicte ce procès-verbal : « Sur le compte rendu du Grand Juge, ministre de la Justice, de l’exécution des ordres donnés par le gouvernement le 16 de ce mois, relativement aux conspirateurs qui s’étaient réunis dans l’électorat de Bade : le Gouvernement arrête que le ci-devant duc d’Enghien, prévenu d’avoir porté les armes contre la République, d’avoir été et d’être encore à la solde de l’Angleterre, de faire partie des complots tramés par cette dernière puissance contre la sûreté intérieure et extérieure de la République, sera traduit devant une commission militaire composée de sept membres, nommés par le général gouverneur de Paris, et qui se réunira à Vincennes. »
L’arrivée du duc d’Enghien à Paris est prévue pour le même soir. Bonaparte aurait alors ordonné à Murat, nouveau gouverneur de Paris : « Faites entendre aux membres de la commission qu’il faut terminer
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