Bonaparte
Arrivé non loin d’Ajaccio, à la hauteur de la tour de Capitello, il aperçoit sur le rivage tout un groupe de réfugiés qui, à la vue du drapeau tricolore flottant à la poupe font des signaux de détresse. Napoleone, poussé par une sorte de pressentiment, se dirige vers la côte et découvre Mme Letizia et ses enfants. Ils ont été chassés d’Ajaccio le 23, et, depuis, ont pris le maquis. Buonaparte, la nuit venue, les embarquera à bord de son chebek qui recevra l’ordre de transporter la Madré vers Calvi. Quant à lui, il va se joindre aux troupes qui vont tenter un débarquement.
Le lendemain, l’opération se solde par un échec. Trente républicains seulement se rallient aux commissaires de la Convention. Le 2 juin, Buonaparte gagne Calvi à cheval et décide de quitter l’île pour regagner son régiment. En sept années et demie de service, il n’a passé que trente mois à son corps.
Le 3 juin, avec tous les siens, il s’embarque pour Toulon. Il ne reverra la Corse qu’au retour de la campagne d’Égypte.
Cette fois – et pour toujours – Napoleone a choisi la France.
V
LE CAPITAINE CANON
« Si on était ingrat avec lui, cet officier avancerait tout seul ».
D UGOMMIER .
A RRIVANT à Toulon le 13 juin 1793, Buonaparte installe sa mère, Louis, Jérôme et ses trois soeurs dans une petite maison du bourg de La Valette.
Les futures princesses Élisa et Pauline vont laver leur linge à la fontaine car la famille n’a pour vivre — chichement – que les secours accordés aux réfugiés corses et la maigre solde de Napoleone. Fort heureusement, au début du mois suivant, des amis – les Clary – recueillent les Buonaparte à Marseille, tandis que le jeune capitaine rejoint son régiment.
Grâce au général Jean du Teil, frère de l’ancien commandant d’Auxonne, le capitaine Buonaparte n’est point considéré comme déserteur et on l’affecte à la 12 e compagnie du IV e d’artillerie qui se trouve alors à Nice, formant partie de cette armée des Alpes chargée de faire une diversion en attaquant le Piémont.
On le retrouve le 27 juillet en Avignon. Le 28, il reçoit l’ordre d’occuper Beaucaire. Le soir – un soir de foire –, l’officier dîne dans une auberge avec quatre marchands, partisans des fédérés marseillais. La conversation roule sur les mesures prises et appliquées par Carteaux pour rétablir l’ordre en Provence.
— Voilà ce que c’est que la guerre civile, s’écrie le jeune capitaine, l’on se déchire, l’on s’abhorre, l’on se tue sans se connaître.
Ses interlocuteurs traitent Carteaux d’assassin. Buonaparte le défend – alors qu’il ne le connaît que de loin – en rappelant que le général veille scrupuleusement « sur l’ordre et la discipline ». À Saint-Esprit ou à Avignon, « on n’a pas pris une épingle ». Carteaux n’a-t-il pas fait emprisonner un sous-officier qui avait arrêté un Marseillais sans en avoir reçu l’ordre ? Un soldat n’a-t-il pas été, lui aussi, incarcéré pour vol ?
— Votre armée des fédérés, au contraire, s’exclame Buonaparte, a tué, et assassiné plus de trente personnes, a violé l’asile des familles et a rempli les prisons de citoyens, sous le prétexte vague qu’ils étaient des brigands.
Sans doute déteste-t-il toujours autant ces « brigands », mais il semble être devenu sincèrement républicain... Et comment n’apprécierait-il pas « l’égalité chérie », lui qui au temps des « tyrans » ne pouvait espérer dépasser le grade de chef de bataillon ?
Rentré chez lui – il loge chez le pharmacien Renaudet – il écrit le fameux Souper de Beaucaire, où, pour la première fois, Bonaparte se devine sous Buonaparte : « Ne vous effrayez point de l’armée, écrit-il, elle estime Marseille parce qu’elle sait qu’aucune ville n’a tant fait de sacrifices à la chose publique... Secouez le joug du petit nombre d’aristocrates qui vous conduisent, reprenez des principes plus sains, et vous n’aurez pas de plus vrais amis que les soldats... Vous suivez, dites-vous, le drapeau tricolore ? Paoli aussi l’arbora en Corse pour avoir le temps de tromper le peuple, d’écraser les vrais amis de la liberté, pour pouvoir entraîner ses compatriotes dans ses projets ambitieux et criminels : il arbora le drapeau tricolore et il fit tirer contre les bâtiments de la République, et il fit chasser nos troupes des forteresses, désarma celles qui y étaient,
Weitere Kostenlose Bücher