Byzance
livre à ce genre de plaisanterie se trouve dans la position d’un homme qui chasse le morse tout seul dans une petite barque : s’il n’est pas extrêmement habile, il perd la vie. Haraldr fit signe à Halldor de revenir et ils regardèrent le spectacle ensemble.
— Basile le Bulgaroctone ? demanda Halldor en montrant le premier empereur qui continuait d’abattre de faux ennemis.
— Je crois, dit Haraldr. Les Bulgares portent ce genre de tuniques marron.
Soudain le Bulgaroctone s’effondra sur le sol, sans mouvement, et les autres acteurs se mirent à gémir en se frappant la poitrine. On remit la couronne du Bulgaroctone à l’homme plus mince qui, après l’avoir posée sur sa tête, jaugea du regard la belle femme et la « moins belle » ; la femme défigurée avait disparu, bien que Haraldr n’eût pas remarqué son départ. Un autre acteur, un homme assez âgé en robe verte, parut sur scène et, avec des mouvements comiques élaborés, l’empereur incita la femme « moins belle » à embrasser ce nouveau personnage ; mais elle détourna la tête et releva le nez. Alors, l’empereur renouvela son manège auprès de la femme belle. Après de longues réticences, celle-ci finit par prendre le vieil homme en robe verte dans ses bras. Aussitôt, la femme « moins belle » poussa un rire hystérique, moqueur. L’empereur leva les bras au ciel, ravi, mais s’écroula à terre presque aussitôt, et la femme belle ramassa la couronne et la robe de pourpre pour les donner à son compagnon âgé. Une fois couronné, le nouvel empereur se mit à entasser des briques en de petits murs qu’il arrosa de pièces de monnaie, tandis que des hommes à cheveux longs arrachaient des pages de livres imaginaires et criaient des paroles dénuées de sens.
Ensuite, il se produisit quelque chose de tout à fait remarquable. Le rythme des acteurs devint plus lent et la musique se fit funèbre. Un immense moine vêtu de noir entra en scène sur un cheval réel, et se mit à caracoler.
— N’est-ce pas la robe noire que tu as vue chez Nicéphore Argyros ? demanda Halldor.
— Je n’en sais rien. Nous sommes peut-être arrivés à l’empereur actuel. Et il est représenté comme un bouffon.
Le moine s’arrêta un instant pour observer le nouvel empereur et la belle femme, qui s’étaient tourné le dos. Le moine partit dans les coulisses au trot et quand il revint, il avait en croupe un autre acteur, un homme beaucoup plus jeune que l’empereur, vêtu d’une robe de laine jaune toute simple. Ils descendirent de cheval tous les deux. Le moine prit le jeune homme jaune par la main et lui montra le couple impérial en train de se quereller. Il lui donna une claque sur l’épaule et un baiser, comme si c’était un enfant, puis il le poussa du côté de la belle femme. Celle-ci prit la main de l’homme en jaune, la tint timidement pendant un instant, puis dévora le jeune homme de baisers et le fit tomber par terre.
— Baise-la ! Baise-la ! lancèrent quelques Varègues.
Et la foule reprit en chœur. Le couple par terre s’embrassa pendant un moment – la femme « moins belle » l’observait de loin, amusée – puis se leva et se tourna vers l’empereur. Celui-ci porta les mains à sa gorge comme un homme qui étouffe ou est empoisonné. Le couple le regarda sans rien faire. Le moine non plus n’intervint pas, et l’empereur s’écroula.
— Ils expliquent que l’empereur a été assassiné ! murmura Halldor. Par sa femme et son amant.
Le moine ramassa le diadème impérial et la robe pourpre, puis plaça la couronne sur la tête de l’homme en robe jaune et lui posa la robe pourpre sur les épaules. La belle femme se tourna vers la « moins belle », laissa éclater sa colère et chassa la femme de la scène. Puis elle se plaça d’un côté de la scène pour se maquiller le visage pendant que le nouvel empereur s’installait, songeur, sur le trône doré. Le moine planait au-dessus de lui comme une ombre sinistre.
— Kristr ! jura Haraldr entre ses dents.
Un colosse blond aux épaules rembourrées, vêtu de l’uniforme de la Garde varègue, venait d’entrer en scène. Le faux Varègue se plaça à côté du trône en face du moine et plaça sa hache au-dessus de la tête de l’empereur ; on ne pouvait deviner s’il protégeait l’empereur ou s’il essayait de le décapiter.
— Mar Hunrodarson ? demanda Halldor.
Haraldr acquiesça, le sang glacé
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