Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
à cela qu'il pense aujourd'hui ? Il me paraît difficile de le lui demander. J'ai l'impression de lui avoir dérobé un secret qu'il devrait taire.
À retenir de cette réunion à Provins, comme de celle de Troyes, plus tard dans la soirée, où Robert Galley a manifesté son soutien à Giscard avec la même solennité que Peyrefitte, que les ministres gaullistes ont choisi leur camp. Ils ne sont pas mécontents de montrer qu'ils sont capables de monter au front pour Giscard comme ils l'ont fait en d'autres temps pour de Gaulle.
Il me semble que Giscard aborde ce soir plusieurs angles nouveaux, beaucoup plus personnels, davantage destinés à faire battre le cœur de ses électeurs.
Premier thème : je suis seul contre tous. Une victime désignée, mais combattante.
Deuxième thème : j'ai atteint le sommet de ma carrière politique. Je n'en attends plus rien pour moi-même. Je ne peux vouloir que le bien de la France.
Troisième nouveauté dans son discours : je viens d'un pays de granit, l'Auvergne, et je tiendrai bon.
Il dit encore : je suis celui que les sondages mettent tous les jours en tête au premier tour.
La référence au granit, au roc : voilà pour ceux qui parlent de son manque de résistance. Le sommet de sa carrière politique, c'est pour dénoncer a contrario ceux qui ont des ambitions : Chirac et Mitterrand. L'allusion aux sondages est un rappel à son électorat : pour le moment, c'est lui qui gagne. Qu'on s'en souvienne !
Un ton nouveau, en tout cas, révélateur de son inquiétude et de celle de ses proches. Quelqu'un lui a dit qu'il passait au-dessus de la tête des gens, qu'il fallait faire appel aux sentiments, au cœur, pas uniquement à l'intelligence.
13 avril
Fabrice à Waterloo, je « sens » de moins en moins cette campagne. Giscard, me semble-il, remonte. Cela ne se voit pourtant pas encore dans les sondages. Les communistes pensent – c'est Roland Leroy qui me le confie – que Mitterrand sera battu. Au Parti socialiste, beaucoup, au contraire, le plus grand nombre, croient à la victoire.
En fait, deux interrogations dominent : quel score fera Chirac au premier tour ? Menacera-t-il réellement Giscard ? Autre question-clef pour le deuxième tour, cette fois : que feront les communistes ? Malgré le tournant, l'inflexion que j'avais cru déceler chez Georges Marchais l'autre jour, le fait est que communistes et socialistes iront au combat sans être liés par le moindre pacte électoral.
14 avril
Campagne officielle à la télévision. Drôle de voir pour la première fois le défilé des dix candidats – sept hommes, trois femmes. Marie-France Garaud était assassine, mais ingénument vêtue (en Chanel) de probité candide et de soie grège. Huguette Bouchardeau était faussement novice. Michel Crépeau est apparu comme l'héritier persifleur du radicalisme divisé. Jacques Chirac est apparu étrangement sévère, Michel Debré plutôt plus jovial que d'habitude, Arlette Laguiller plus prolétaire que jamais. Mitterrand était comme revêtu de l'éternité du socialisme, et Giscard, présidentiel en diable.
18 avril
Tous les hommes politiques partagent ce mois-ci la même vie : les mêmes Mystère 20 des compagnies privées (ou de certains grands patrons !), les mêmes pilotes les emmènent d'une ville à l'autre, les mêmes chapiteaux les accueillent, les mêmes autocars transportent leurs troupes, les mêmes gendarmes, débonnaires et affairés, surveillent leurs mouvements, cachés derrière les haies s'il s'agit de candidats de l'opposition, à découvert s'il s'agit du président de la République.
Chacun a ses petites manies, ses angoisses.
François Mitterrand passe son temps à chercher ses lunettes, toujours glissées sous un coussin de l'automobile qui le conduit, ou dans l'accoudoir de son siège d'avion.
Jacques Chirac, lui, est obsédé par sa serviette, une sorte de cartable en cuir noir, fortement usagée, qu'il a sans cesse peur de perdre. C'est une file impressionnante de voitures françaises – il y tient – qui les conduisent, lui et ses accompagnateurs, d'une ville à l'autre, et toujours, pour ce qui le concerne, le même chauffeur.
Depuis qu'il est candidat, Giscard conduit lui-même sa 505 Peugeot verte, encadrée de représentants des services de sécurité.
François Mitterrand est toujours escorté de deux fidèles organisateurs ou supposés tels, François de Grossouvre et Joseph Franceschi,
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