Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
rentre dedans ! » Il a précisé sa menace – j’ai retenu sa phrase exacte à une virgule près : « Regardez-vous et regardez-moi ; on va arrêter de jouer l’Ange blanc contre le bourreau de Béthune ! »
J’ai senti physiquement que Le Pen se le tenait pour dit. Du coup, il a baissé d’un cran ses attaques. Il a bien dit que Tapie était plus connu comme organisateur de spectacles sportifs que comme un homme politique, il lui a bien dit qu’il était « un Tartarin, un bluffeur, un hâbleur, un pitre grotesque », mais il a semblé en même temps prendre son adversaire en considération.
Du coup, le débat de fond a pu s’engager sans débordement de paroles et encore moins de gestes.
Extraordinaire face-à-face, le premier où Le Pen a trouvé à qui parler !
Lorsque le débat s’est terminé, après des témoignages souvent douloureux d’immigrés en situation irrégulière venus en France par les vertus du regroupement familial, puis ne parvenant pas à régulariser leur situation, j’ai raccompagné Jean-Marie Le Pen dans la loge de maquillage qui lui était réservée, tandis que Carreyrou faisait de même avec Tapie.
J’ai trouvé le leader du FN éprouvé, secoué, lui qui ne l’est jamais. Il m’a paru déconcerté, stupéfait même par le style Tapie. Il m’a dit avoir pensé un moment que Tapie allait vraiment en venir aux mains, sans me révéler ce qu’il aurait fait lui-même en pareil cas.
« Je ne suis pas en forme, ce soir, a-t-il ajouté, m’expliquant qu’il partait dès le lendemain à l’hôpital pour une nouvelle opération de l’œil. Le lion était blessé sur son terrain, celui de l’éloquence populaire.
21 décembre
Dans le maelström international, nous avons de la chance : nous passons des heures et des heures avec Giscard à enregistrer son émission, donc à parler interminablement des conséquences de la chute du Mur, de l’aide à apporter d’urgence à la RDA et aux autres pays de l’Est. Nous nous interrogeons sur la forme que prendra la nouvelle Europe. C’est à la fois inquiétant et exaltant. Quel meilleur commentateur pourrions-nous avoir que lui, même s’il apporte assurément plus d’interrogations que de réponses... ?
Fin décembre
Deux réflexions sur ce qu’on appelle la « révolution roumaine » qui, depuis quinze jours, mobilise toutes les antennes :
1) Ainsi, de tous les pays de l’Est qui ont renversé leur régime depuis la chute du mur de Berlin, la Roumanie aura été la seule où le sang a coulé.
Je sais bien que, contrairement à ce que toute la presse a clamé (et pas seulement la télévision), il n’y a pas eu à Timisoara le massacre sur le charnier montré et décrit par les médias du monde entier. Les cadavres exhibés à la télévision provenaient de la morgue d’un hôpital, et non pas des prisons de la police roumaine. Ces images sont arrivées par les EVN 36 , je crois, et nous les avons diffusées sur-le-champ. Le lendemain, les quotidiens ont fait leur une sur les dépouilles mutilées par le régime de Ceaucescu. Donc, si culpabilité il y a, elle n’est pas l’apanage de la seule télévision. Je le souligne parce que j’ai l’impression qu’elle seule aujourd’hui est attaquée pour fausses nouvelles et excessive dramatisation.
Nous avons immédiatement apporté un démenti, fait notre mea culpa , etc. Fallait-il de surcroît que nous nous répandions de la cendre sur la tête ? Je veux bien qu’on fasse un procès aux journalistes àcause de ces images qui ont fait le tour du monde, mais à condition que la presse écrite en prenne sa part.
Quoi qu’il en soit, le 17 décembre, des dizaines de milliers d’ouvriers sont entrés dans la ville de Timisoara et ont commencé à ébranler le régime. Les policiers ont ouvert le feu sur les manifestants. Deux ou trois jours plus tard, la révolution se transportait à Bucarest et le couple Ceaucescu était acculé à la fuite, puis condamné à mort et fusillé.
2) Pendant la semaine de 17 au 25, jour du départ des Ceaucescu à bord d’un hélicoptère bientôt contraint de se poser, il faut bien dire que la cinquième chaîne a été géniale. Personne n’avait d’images du couple présidentiel en fuite, personne ne savait exactement ce qui se passait dans les rues de Bucarest. En outre, le complexe de Timisoara hantait chacun de nous : pas question de faire allusion au moindre mort de la « révolution
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