Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de Rocard. Le 13 décembre, dans une interview accordée conjointement à Europe 1 et à Antenne 2, il parlera de « seuil de tolérance » à propos de la présence d’immigrés dans l’hexagone.
35 - Confronté à Jean-Marie Le Pen le 5 décembre sur la Cinq, Lionel Stoléru, alors secrétaire d’État du gouvernement Rocard, s’était vu demander par le président du Front national s’il avait « la double nationalité. » Avait suivi ce dialogue : L.S. : « Laquelle ? » J.-M. L.P : « Je ne sais pas, je vous le demande. » L.S. : « Non, je suis français. » « Parfait, avait dit Le Pen. Sinon, j’aurais été gêné. » Jean-Claude Bourret était alors intervenu en expliquant que Jean-Marie Le Pen faisait sans doute allusion au fait que Lionel Stoléru était juif, et insinuait qu’il avait sans doute par là la double nationalité israélienne et française.
36 - European Video News.
1990
5 janvier
Multiples cérémonies de vœux de Mitterrand. Je passe vite sur le fond. Une anecdote, en revanche, me semble plus significative qu’il y paraît : pendant la cérémonie consacrée aux vœux du gouvernement au Président, Michel Rocard éternue une première fois lorsque Mitterrand entame son propos sur la révision de la Constitution à laquelle il se propose de procéder. Mitterrand ne bronche pas. Puis le Premier ministre éternue une seconde fois. Là, Mitterrand ne peut cacher un geste d’énervement.
C’est un signe, évidemment : Rocard allergique à Mitterrand, Mitterrand exaspéré par l’allergie de l’autre... qu’il partage, d’ailleurs !
Voilà qui m’amène à revenir sur une scène que Claude Estier m’a racontée à la fin de l’automne dernier et que je n’avais pas consignée ici. Un soir, je ne sais plus la date exacte, Mitterrand a réuni les anciens Conventionnels 1 . L’idée est de préparer le futur congrès du PS prévu à Rennes pour la fin mars. Mitterrand leur recommande de faire campagne autour de Laurent Fabius et de signer la motion que celui-ci s’apprête à déposer en vue de Rennes. Décidément, il ne se remet pas de l’élection de Mauroy au secrétariat du Parti : il juge sans doute que son ancien Premier ministre n’a plus d’énergie à déployer, plus de « jus », comme disent les journalistes. Il n’a pas puimposer Fabius en 1988, il pense pouvoir le faire en 1990 à l’occasion du congrès à venir. Ou, si la chose n’est pas possible, à le remettre en piste pour les prochaines années.
Je ne sais si Lionel Jospin l’a déçu, ni en quoi. En tout cas, il demande à ses partisans les plus proches de se ranger derrière Fabius. Lors de cette réunion de l’automne dernier à l’Élysée, les Conventionnels sont restés prudents : peu nombreux, de toute façon, sont ceux, proches ou moins proches, qui osent lui parler sans détour.
« Vous êtes pour Jospin ? dit-il à certains d’entre eux. Cela veut dire que vous êtes pour donner le PS à Rocard ! »
Ce n’est pas le cas de Claude Estier, par exemple, qui ne veut pas de Fabius, préfère Jospin, mais ne pense pas pour autant que Michel Rocard se retrouvera du même coup à la tête du Parti socialiste.
Derrière l’affrontement Jospin/Fabius, Mitterrand persiste à craindre que Rocard ne tire les marrons du feu.
Mais après tout, pourquoi pas ? Mitterrand ne va pas se présenter une troisième fois, alors pourquoi pas Rocard ? Je ne comprends pas l’entêtement du Président à imposer Fabius aux socialistes. Je suis incapable d’expliquer pourquoi : la greffe Fabius n’a jamais pris au PS. Cela remonte à des années. En revanche, Jospin, pourtant peu jovial, y a pris sa place au fil du temps.
Je me rappelle le premier grand affrontement entre Fabius et Jospin : c’était en 1986, lorsque l’un et l’autre revendiquaient le droit de conduire la campagne des législatives. Enquête faite, je m’étais aperçue que Mitterrand avait tout fait pour les opposer : à Fabius, Premier ministre, il avait laissé entendre que c’était à lui de faire le travail ; à Jospin, premier secrétaire du Parti, il avait conseillé de prendre toute sa place dans la bataille. Résultat : un duel qui n’a plus cessé jusqu’à aujourd’hui.
Et Rocard, là-dedans ? Après tout, il ne serait pas si mal comme candidat en 1995. Sa cote ne faiblit pas, bien qu’il soit à Matignon depuis près de deux ans. Il est respecté par les
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