Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
les images vidéo de l’ascension de la roche de Solutré. La promenade est devenue, au fil des présidences de Mitterrand, un pèlerinage, un rite. La cérémonie, car c’en est une, s’est déroulée comme à l’habitude : habillé style campagnard (pull-over et pantalon beiges), Mitterrand a gravi à son pas la colline sans que Jack Lang, de rose vêtu, le lâche d’un millimètre. Puis, arrivé à la petite auberge du sommet, il s’est fait un peu prier, pas trop, pour répondre aux questions des journalistes qui avaient fait le voyage. Naturellement, après la semaine au cours de laquelle Mitterrand n’a cessé de parler de la nécessité d’un virage social, l’un d’eux a demandé s’il pensait que Michel Rocard était un obstacle. Pas du tout, a assuré Mitterrand, « je n’ai aucun désaccord avec le Premier ministre ».
La presse, sans doute, a une fois de plus tout inventé !
A suivi une parfaite illustration de la complexité, ou, plus exactement, de l’ambiguïté de Mitterrand lorsqu’il parle de Michel Rocard.Il a décerné quelques bonnes notes à son Premier ministre au moment où tout le monde s’attendait à ce qu’il lui assène une ou deux critiques bien senties sur sa résistance au virage social.
Non, non, pas du tout, les journalistes avaient tout faux : lorsqu’il a mis en cause récemment les bas salaires, il ne visait pas Rocard, mais le patronat. C’est avec Jacques Chirac, de 1986 à 1988, que les inégalités se sont creusées. Voilà pour le soutien à Rocard !
Pourtant, ce qui a suivi n’est tendre ni pour le Premier ministre, ni pour le PS et son premier secrétaire. Mitterrand est revenu sur la loi d’amnistie : « C’est une malheureuse initiative, a-t-il précisé comme s’il n’y avait pris aucune part. Mais ce n’est plus mon affaire 24 ... »
Comme si Rocard, de son propre mouvement, avait proposé à l’Assemblée nationale d’aller plus loin dans le pardon des fautes ! Quand on sait qu’il ne voulait pas proposer ce texte d’amnistie, qu’il est allé devant le Parlement à reculons, qu’il ne l’a fait que contraint et forcé par le PS, surtout par Pierre Mauroy, soucieux de ne pas voir les dirigeants socialistes attaqués du matin au soir, lui en faire porter la responsabilité est tout de même assez culotté ! Je voudrais bien voir la tête de Rocard, ce soir...
Je résume : une phrase pour soutenir Rocard, une autre pour douter de lui. Qui dit mieux ?
6 juin
Livre de Régis Debray, assassin, paraît-il, pour Mitterrand. Là aussi, la mode joue, et joue contre Mitterrand, puisque même lui, Régis, mêle sa voix à celles des autres. Le livre, selon Serge July, pose une question : c’est quoi, un grand homme ? Régis Debray répond en substance : « En tout cas, pas Mitterrand ! »
Je pense à ces jours de 1982 où, chargé de la culture à l’Élysée, Régis Debray s’en prenait à Bernard Pivot dont il dénonçait la « dictature » sur la vie intellectuelle. Pivot lui avait répondu qu’il trouvait choquant de voir le politique s’en prendre à la télévision, et outrageants les mots employés pour fustiger son émission « Apostrophes » : « dictature », « monopole », « arbitraire », etc. !
13 juin
Pierre Mauroy, que je rencontre ce matin au petit déjeuner, raconte assez drôlement le congrès de Rennes. Il évoque ce que je savais déjà, mais avec une grande liberté de parole. Il parle notamment du « dérapage » de Michel Rocard, le dimanche au petit matin, lorsqu’il a envisagé un moment de conquérir complètement le Parti avec Jospin, sans Laurent Fabius, donc sans Mitterrand !
« D’accord, lui a dit Mauroy, mais alors, fais ta valise !
– Et pourquoi pas ? » lui a répondu Rocard, bravache.
Quelques heures après ces belles paroles, vers 10 heures du matin, le Premier ministre était introuvable... et décidait de rester à la tête du gouvernement.
Le problème, pour lui, est d’ailleurs aujourd’hui d’en sortir. Peut-on préparer soi-même sa sortie lorsqu’on est Premier ministre ? Sûrement pas, dit Mauroy qui en a fait l’expérience cuisante, il n’y a rien à faire, impossible de préparer quoi que ce soit !
De François Mitterrand, il (Mauroy) donne une image curieuse : attaché à Fabius, et de quelle façon, au congrès de Rennes, puis, aujourd’hui, faisant mine de n’avoir avec lui que des liens de façade : « Plus personne
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