Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
curieux : on a l’impression qu’il se sent plus proche d’Édith Cresson que de n’importe qui d’autre, que de Laurent Fabius par exemple. Comme s’il ne se rendait pas compte que c’est à elle, Premier ministre, de « protéger » le président de la République, et pas l’inverse !
J’espère pour lui qu’en ce qui concerne la nécessaire impopularitéd’un Premier ministre, il ne sera pas entendu au-delà de ses espérances !
24 octobre
Les choses n’ont pas traîné : motion de censure sur le budget. Classique !
5 novembre
Incroyable et pourtant vrai : Robert Maxwell, le Robert Maxwell à qui le pouvoir socialiste avait confié la cinquième chaîne, avec son copain Berlusconi, Robert Maxwell, qui s’était embarqué derrière Francis Bouygues à TF1 en 1987, et que le même Bouygues avait immédiatement neutralisé, vient de disparaître : il est tombé par-dessus le bastingage de son bateau, le Lady Guislaine . Ainsi s’achève l’aventure de cet homme qu’on nous a si souvent présenté comme un empereur de la presse anglo-saxonne et qui lui-même se fixait pour objectif de créer la plus grande société de communication du monde. A-t-il été frappé par une crise cardiaque ? Comment se fait-il que, sur le moment, personne à bord ne s’en soit aperçu ? Le fait qu’il ait fini la guerre comme agent des services spéciaux britanniques, qu’il ait été par la suite suspecté de faire partie des services israéliens, ajoute à sa mort une dimension de roman policier. Il avait des dettes, dit-on, et son sort financier pouvait tourner d’un moment à l’autre. S’est-il suicidé ?
7 novembre
Sous prétexte de décentralisation, Édith Cresson veut-elle tuer l’ENA ? Exerce-t-elle, contre les technocrates, une sorte de vengeance qui ne veut pas dire son nom ? Elle a peut-être raison quand elle dit que les fonctionnaires coûtent moins cher en province qu’à Paris ; il reste que décentraliser l’ENA à Strasbourg est une hérésie : même si les élèves, bien obligés, iront résider dans le Bas-Rhin, les chargés de cours et autres professeurs ne le feront pas ! Ils ne traverseront pas la France pour parler, comme je l’ai fait moi-même il y a quelque temps, des rapports compliqués entre télévision et pouvoir,ou comme d’autres, patrons, chefs d’entreprise ou représentants de la société civile, le font sans arrêt gratuitement.
Quant aux professeurs, je ne les vois pas passer cinq à six heures dans le train pour Strasbourg, et encore moins résider là-bas. Beaucoup le feraient, certes, mais à condition que ce ne soit pas au bout du monde !
Installer l’ENA à Strasbourg, c’est prendre son parti d’une baisse de niveau de son enseignement, d’une baisse de niveau de ses enseignants.
Plus j’y pense, plus je suis convaincue qu’il s’agit là d’une sorte de vengeance sous couvert de bons sentiments girondins.
Pour le reste, la décentralisation passe globalement bien, et localement le plus souvent mal, les élus trouvant naturellement, à quelques exceptions près, qu’ils ne sont jamais assez bien servis.
10 novembre
Le piège s’est refermé sur Mitterrand : à force de défendre Édith Cresson, il est lui-même entraîné dans l’impopularité. J’ai pris ce matin un petit déjeuner avec Jean Poperen, navré par la dégradation des choses : selon lui, les socialistes n’ont jamais été aussi divisés. D’abord parce que les députés, me dit-il, ont peur de ne pas être réélus dans un an et demi. Plutôt que de se remettre en cause, ils flanquent tout sur le dos du gouvernement, de ses contradictions, de son manque d’autorité. Ensuite parce que Mitterrand ne parvient pas à redresser la situation. Il s’est débrouillé pour assumer tous les échecs, les bévues, les hésitations de Matignon. Il paraît qu’il lui arrive d’être furieux et d’exprimer sa colère à certains des ministres ou des leaders socialistes qu’il juge faibles ou manipulés. Et aussi à Édith Cresson, peut-être ? Poperen ne me répond pas.
Je lui demande s’il est vrai que, comme on le dit, certains élus socialistes pensent que Mitterrand va démissionner, qu’il va laisser la place libre à un des chefs de courant – pourquoi pas à Michel Rocard dont, par comparaison, la cote n’a jamais été aussi haute ? Poperen me dit que la chose est possible, en effet.
Je le trouve un peu perdu, cachant derrière son
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