Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
humour une réelle inquiétude sur l’évolution politique. Il faut dire que, ministre chargé des Relations avec le Parlement, il connaît les députés, mesure leurscraintes mieux que personne, et sait que leur solidarité avec le pouvoir est fragile dès lors que ce pouvoir lui-même est menacé.
11 novembre
Je vois assez bien comment les choses se sont passées : Mitterrand, menacé maintenant lui aussi par les sondages, Mitterrand que la presse ne cesse de décrire comme au bout du rouleau, usé par le pouvoir, a essayé de prendre de court tout le monde en parlant, à Elkabbach, dans l’émission de 19 heures, pour la Cinq et Europe 1, de façon assez imprécise d’ailleurs, de révision de la Constitution « dans le domaine législatif, judiciaire, exécutif ».
Le référendum, arme qu’il veut employer aujourd’hui comme en 1984, semble avoir une vertu thérapeutique : sur le gouvernement, sur l’opposition, sur le peuple et peut-être sur lui-même.
Peut-être, comme en 1984 également, ce référendum ne verra-t-il jamais le jour. En attendant, l’opposition fait semblant de croire au raccourcissement possible du mandat présidentiel.
Giscard, réélu ce week-end à la tête de l’UDF, triomphe : le quinquennat, dit-il, attend depuis dix-huit ans. Mitterrand, lui demande-t-on, serait-il obligé de se l’appliquer à lui-même ? Légalement non, mais politiquement oui, répond Giscard.
Quant à la réforme du mode de scrutin, Mitterrand a prévu un système mixte alliant scrutin majoritaire et scrutin proportionnel. Ce qui ne trompe personne : il ne penserait pas à changer le mode de scrutin si le PS était assuré de gagner en 1993 !
11 novembre
Échange inattendu à l’Assemblée nationale. Mitterrand a parlé imprudemment, hier, de l’« étouffement » du Parlement. Gêne visible d’Édith Cresson lorsqu’elle a eu à affronter sur ce terrain les parlementaires. Chirac en a profité pour faire tout un plat sur la dérive monarchique et autoritaire du pouvoir. Raymond Barre a au contraire semblé soutenir le Premier ministre. Tandis que Giscard a donné la recette : qu’on cesse d’appliquer l’article 49.3 !
Les faux pas ou les contradictions ne sont pas l’apanage de la seule majorité.
17 novembre
Chevènement à « L’Heure de vérité » sur Antenne 2. Après une difficile période d’éloignement, le revoici sûr de lui, de ses analyses politiques. Sur le Golfe, notamment, il dit tout haut ce que beaucoup de Français aujourd’hui pensent tout bas : on pouvait faire l’économie de la guerre, puisque rien n’a changé. Saddam est toujours là et rien n’est réglé au Moyen-Orient.
Lui non plus n’a pas changé d’un pouce depuis janvier dernier. Comme si les dures critiques, à la limite de la diffamation, dont il a fait l’objet en début d’année avaient glissé sur lui comme sur les plumes d’un canard. C’est étonnant de le voir ainsi, inaltéré après son exil.
Pour finir, un hommage inattendu à Édith Cresson, « femme courageuse qui donne de bonnes impulsions à la politique industrielle ».
Il est vrai qu’il a toujours beaucoup aimé Édith Cresson, ses propos iconoclastes, sa remise en cause perpétuelle des pensées uniques, sa défiance aussi vis-à-vis des inspecteurs des Finances et de cette énarchie qu’il a lui-même été le premier à dénoncer 35 . D’ailleurs, je crois me souvenir que lorsqu’il s’est représenté à son poste de député, après sa démission du gouvernement, Édith Cresson était venue le soutenir. Ils ne devaient pas être nombreux à se précipiter pour le faire.
Soutenir Édith Cresson aujourd’hui est devenu un acte de courage politique.
26 novembre
Déjeuner chez Philippe Marchand au ministère de l’Intérieur. Autour de lui, tous les chefs de la police : drogue, répression du banditisme, police nationale. Marchand est curieusement indifférent, ou plus exactement absent. Lui-même met sur le tapis, là, devant tout son petit monde, ce qui le turlupine : c’est le changement du mode de scrutin présenté par François Mitterrand, mêlant donc proportionnelle et majoritaire – ce qui amènerait à augmenter le nombre total d’élus. « J’ai dit à Mitterrand, clame-t-il, que je refusais de porter la responsabilité de l’élection de 60 députés supplémentaires à l’Assemblée nationale. Je ne serai pas ce ministre de l’Intérieur-là ! »
À tous
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