Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
redonner du sens à l’action collective dans notre société ; cela passe évidemment par le courage politique, l’affirmation intransigeante de valeurs face à tous ceux qui cultivent la démagogie. »
Pendant que je lis et annote cet édito dans ce carnet, la fronde éclate au groupe parlementaire socialiste de l’Assemblée nationale au moment d’accepter le projet de loi sur le « sang contaminé ». Il s’agit de faire financer l’indemnisation des transfusés contaminés par le sida par une taxe sur les polices d’assurances, donc par les assurés. La décision a été adoptée en Conseil des ministres la semaine dernière.
La mesure est maladroite et même franchement insupportable, puisqu’elle fait payer par l’assuré les erreurs de nos gouvernants. Depuis le début de l’après-midi, les députés socialistes refusent de la voter.
Au moment précis où j’écris ces lignes, dans la salle des Pas-Perdus de l’Assemblée nationale, j’apprends que la nouvelle vient de tomber sur le fil de l’AFP : le texte a finalement été retiré après qu’on a vu tout l’après-midi Édith Cresson, Jean-Louis Bianco et Jean Auroux 45 s’enfermer pour de longs conciliabules. « On n’en parle plus, voilà tout », a dit Auroux sur Antenne 2 en sortant justement d’une brève entrevue avec le Premier ministre. « Nous pensons, a-t-il ajouté, que l’État peut ici et là faire un certain nombre d’économies qui permettront de financer le fonds dans de bonnes conditions. »
Je suis stupéfaite devant une telle maladresse du gouvernement. Il s’agit d’une décision grave, sur un problème capital. Prise sans concertation avec son groupe parlementaire, sans tenir aucunement compte de l’opinion publique ! Et le Premier ministre y renonce dela même façon, sans crier gare, en quelques minutes après une discussion houleuse ! De deux choses l’une : ou bien cette taxe était une bonne chose, et il fallait la maintenir et convaincre les parlementaires socialistes ; ou c’était une mauvaise chose, et il ne fallait ni la défendre ni l’accepter en Conseil des ministres.
Comment se plaindre, après cela, du manque d’autorité du gouvernement ?
5 décembre
J’ai repris avec plus d’attention et de temps la rédaction de ces carnets. Je ne les ai jamais tout à fait abandonnés, bien que la quantité de travail et de décisions à prendre, de conférences à tenir, soit considérable à TF1. Depuis quelques jours, je sens que nous sommes arrivés dans une terrible période de déliquescence de la gauche, parallèle à la remise en cause de l’autorité gouvernementale et de celle de l’État. Je veux désormais être sur le terrain, et pas seulement derrière mon bureau, et consigner quotidiennement par écrit la crise d’aujourd’hui, que je pressens devoir durer jusqu’aux législatives de mars 1993. « Chroniques d’une mort annoncée » : c’est ainsi que j’intitule le nouveau cahier que j’entame aujourd’hui.
6 décembre
François d’Orcival a rencontré Mauroy au « Club de la Presse », cette semaine. Il l’a trouvé déboussolé, « démoli » – c’est son mot. Il ne reconnaît pas le Parti et jure ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus. Pour lui, le salut, comme toujours, c’est Lille.
Dans un entretien à paraître dans Le Figaro de demain, dont l’AFP cite les phrases les plus importantes, Giscard commente, avec des mots d’une rare violence, les baisses de popularité de Mitterrand et du Premier ministre : il s’agit pour lui d’un « effondrement sans précédent ». Pour qu’on le comprenne bien, il ajoute : « La situation politique présente est plus détériorée qu’elle ne l’a jamais été sous aucun des présidents antérieurs. »
Il l’explique par « l’épuisement du message socialiste », « la situation de corruption » et « la crise morale ».
Quant aux changements institutionnels en cours, c’est peu de direqu’il leur est hostile : « Le régime qu’on nous prépare, dit-il, la proportionnelle intégrale pour l’Assemblée nationale et le mandat de sept ans non renouvelable pour le président de la République, c’est la monarchie absolue. » Un seul mode de scrutin, donc, pour l’opposition : le système majoritaire. Et une hâte : le passage du septennat au quinquennat en 1992.
Plus important que tout, dans le contexte actuel où l’opposition s’attend à
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