Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
!
Aujourd’hui, pour revenir à notre conversation, il pense qu’un nouveau gouvernement sera nommé après le mois de mars. Manifestement, il trouve que c’est déjà bien tard, que beaucoup de dégâts auront été faits d’ici là par Édith Cresson. Il lui reproche son manque d’autorité, recouvert par un autoritarisme inutile, et met en cause jusqu’à sa compétence. Il énumère ces quelques chiffres qu’il trouve significatifs :
« De 1978 à 1981, me dit-il, Raymond Barre ne m’a pas appelé une seule fois. De 1988 à 1991, Michel Rocard m’appelait une fois par semaine, et Jean-Paul Huchon tous les jours. Elle, elle m’appelle directement, à tout propos, trois ou quatre fois par jour. C’est trop, beaucoup trop ! Un agenda de travail d’un Premier ministre, à ce rythme, est ingérable ! »
Et le centre, dans tout cela ? Il ne va pas bien : il aurait besoin lui aussi d’un scrutin à la proportionnelle, pour exister aux prochaines législatives.
« Et puis, peut-être aurait-il fallu ne pas porter un coup d’arrêt à l’ouverture, comme l’a fait Mitterrand en juillet 1988, pour découvrir maintenant que le Parti socialiste n’est pas en ordre de marche derrière le Président et son Premier ministre. »
Il lutte contre le pessimisme tout en pointant les erreurs commises. Cela va être dur pour lui, après Mitterrand !
11 décembre
Ça y est, j’ai repris le rythme : après plusieurs mois où j’écrivais peu – pas quotidiennement, en tout cas –, je prends à nouveau le temps de voir des gens, de consigner tout dans ces cahiers sur lesquels je veille comme sur la prunelle de mes yeux de peur qu’on me les dérobe, à TF1.
Aujourd’hui, donc, déjeuner avec Élisabeth Guigou, blonde et faussement frêle, devenue ministre délégué aux Affaires européennes 47 , qui est rentrée dans la nuit de Maastricht où elle a accompagné Mitterrand. Après un hymne au couple Mitterrand-Kohl, elle raconte que le Premier ministre britannique, John Major, s’est battu jusqu’au bout contre le volet social du texte. C’est Jacques Delors qui a mené le plus vigoureusement le combat contre les menaces du « dumping » anglais.
François Mitterrand, nous dit-elle, avait déjà envisagé avec Helmut Kohl une formule où la Grande-Bretagne aurait été « dehors-dedans », par une sorte de statut spécial où elle aurait été à la fois dans l’Europe et pas tout à fait : cela avait été bouclé entre le Président et le Chancelier lors de la dernière interruption de séance, le lundi à 20 heures.
Élisabeth Guigou décrit Mitterrand comme ayant mobilisé son énergie depuis des semaines, des mois en vue de cette réunion de Maastricht. Elle le montre à l’affût, toute son attention tendue pour arriver à une issue positive – allant, à un moment donné de la journée, entre midi et 14 heures, jusqu’à menacer ses partenaires, s’ils n’allaient pas assez loin dans son sens, de refuser de signer purement et simplement le traité. Jouant au poker, prêt à risquer le tout pour le tout pour arriver au résultat escompté.
Reste, maintenant, la ratification. Il va de soi que la Constitution, sur certains points, devra être modifiée : sans doute, selon Guigou, sur la citoyenneté, sur la monnaie unique, peut-être aussi sur la restriction des pouvoirs du Parlement national. Comment ? Par le référendum direct prévu par l’article 11 de la Constitution, ou par le vote des deux assemblées réunies à Versailles (article 89). Celui-ci pourrait d’ailleurs, le cas échéant, être suivi d’un référendum.
« Car Mitterrand, ajoute Guigou, a dit que le texte de Maastricht devrait être ratifié par le plus grand nombre possible de Français : on peut donc considérer comme certain qu’il y aura un référendum ! »
Désormais, quand j’entends parler de référendum avec Mitterrand, moi, après avoir vu au moins deux de ces annonces se noyer dans les sables, je suis sceptique.
D’ailleurs, interviewé plus tard au JT d’Antenne 2, à 20 heures – il parle en ce moment où j’écris –, Mitterrand reste prudent.
Édouard Balladur, qui, lui, est sur le plateau de TF1, me dit en quittant l’antenne, vers 20 h 30 :
« S’il croit que l’opposition va se diviser sur Maastricht, il se trompe. Le référendum, s’il a lieu, se situe dans la même problématique que les précédents : ce sera pour ou contre
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