Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Mitterrand ! »
    Il était très fatigué, visiblement, Mitterrand, sur Antenne 2. Sa peau, moins tendue, est plus ridée, hachurée de petites stries parallèles.

    14 décembre
    Congrès socialiste à la Défense. En venant du dehors, dans cet univers de cauchemar, rien ne permet de trouver la salle du congrès : pas une banderole, pas une flèche, pas un bandeau. On dirait un congrès clandestin.
    On pousse une porte et enfin, au milieu d’une multitude de jeunes en survêtements qui attendent la flamme olympique en partance vers la Savoie où auront lieu dans peu de temps les J.O. d’hiver, on débouche sur une salle ultra-moderne avec une tribune, curieusement de biais.
    Brrr... Sinistre !
    Michel Rocard parle quand j’arrive. Discours volontairement ennuyeux, car il ne veut rien dire tout en se trouvant obligé de prendre la parole.
    Quelques minutes avant lui, Jospin, paraît-il, a été plus « politique ».
    Le plus curieux, le plus surprenant, le plus inquiétant pour la suite, aussi, est que pas une fois le nom de Mitterrand n’a été applaudi au cours de cette journée !
     
    À propos de Balladur, Philippe Alexandre, que je retrouve à ce congrès socialiste, me raconte que Jacques Attali, désormais à la Banque européenne d’investissement basée à Londres, est allé rendre visite à Édouard Balladur à son hôtel, au cours d’un séjour de celui-ci dans la capitale anglaise. Il l’a reçu, paraît-il, comme un chef d’État.

    23 décembre
    Daniel Bernard me raconte le mot d’André Santini, député UDF des Hauts-de-Seine (qui vient tout juste de créer le Club des parlementaires amateurs de cigares, ce qui n’a rien à voir avec ce qui suit), à propos d’Édith Cresson : « Elle descend si bas dans les sondages qu’elle va finir par découvrir du pétrole ! »

    24 décembre
    Démission annoncée de Mikhaïl Gorbatchev pour demain. L’année finit aujourd’hui pour cet homme à qui nous devons beaucoup : la liberté, et les revers de la liberté.

    26 décembre
    Pierre-André Wiltzer 48 raconte cette scène qui s’est passée au Sénat la semaine dernière. Le ministre de l’Intérieur d’Édith Cresson, Philippe Marchand, défendait mollement un projet de réforme de son ministère (je ne sais pas lequel, et cela n’a d’ailleurs pas d’importance). À la première difficulté avec l’opposition, il propose à celle-ci de déposer une question préalable : « Comme cela, explique-t-il en séance aux sénateurs médusés, le projet qui, je vous l’assure, ne m’enthousiasme pas, sera repoussé aux calendes grecques, en tout cas à la prochaine session. Et moi, je ne serai plus là ! »
    C’est dire l’état de démotivation de ce gouvernement.
    Philippe Marchand n’est pas un petit secrétaire d’État : il est ministre de l’Intérieur !

    29 décembre
    En raflant la quasi-majorité des sièges lors des élections législatives algériennes, le Front islamique du salut (FIS) fait une démonstration évidente : la haine envers les pays occidentaux a fait un bond en Algérie après la guerre du Golfe. Et le FLN, totalement dévalué, a été balayé. La répression du mois d’août dernier a été inefficace : peut-être même a-t-elle profité aux leaders islamistes.
    La France découvre les « barbus ». Avec stupeur ou crainte, peu importe. Sans doute tout cela profite-t-il à Jean-Marie Le Pen. Encore que, concernant l’évolution des forces politiques en Algérie même, sa position est paradoxale : « Tant qu’ils sont chez eux, ils font ce qu’ils veulent ! »
    1 - Seul chrétien en charge d’un ministère au Moyen-Orient, Tarek Aziz est ministre des Affaires étrangères de Saddam Hussein.
    2 - Avocat au barreau de Paris, Michel Vauzelle a été chargé de mission auprès de Jacques Chaban-Delmas de 1969 à 1972. Il a adhéré au Parti socialiste en 1976 à Arles. En 1981, il a été nommé directeur adjoint du cabinet de François Mitterrand. De 1981 à 1986, il est porte-parole de la Présidence de la République.
    3 - En réalité, on le saura plus tard, il n’en est rien. Reçu par Tarek Aziz, puis par Saddam Hussein, Vauzelle a eu le sentiment, au bout de quatre heures de discussions, que Saddam Hussein était décidé à la guerre et qu’il était prêt à accepter le sacrifice de son peuple. Recevant Vauzelle après son retour d’Irak, le 6 janvier, pour entendre son compte rendu, François Mitterrand lui aurait