Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

perd sur tous les tableaux. Il colle publiquement à Mitterrand, puisqu’il reste persuadé que, pour accéder à l’Élysée, il faut rester dans le sillage de son prédécesseur. Dans le même temps, les propos qu’il tient en privé deviennent de plus en plus provocateurs, désagréables, parfois même outranciers. Le résultat ? L’image que donne de lui le « Bébête Show » : l’hypocrite Zorro, à la fois thuriféraire et assassin.
     
    Bérégovoy hier : il est en campagne, persuadé que la meilleure des défenses, c’est l’attaque. Petit, râblé, parfois sympathique, plutôt moins vaniteux qu’il ne l’était en arrivant à Matignon, il est toujours à l’heure, toujours disponible. Son attitude sereine, même si elle n’est peut-être que de façade, montre qu’il domine assez bien son emploi du temps et des contraintes que beaucoup, à sa place, jugeraient intolérables. C’est un bon point.
    Autrement, quelle violence cachée, quelle irritabilité, quelle volonté de revanche ! Contre qui, contre quoi ? Contre ses propres troupes, ses propres amis, contre l’échec collectif.
    2 novembre
    Le sang contaminé 42 .
    Garretta est coupable, peut-être. Pourtant, l’opinion publique, qui se pourlèche déjà les babines, ne se contentera pas d’un lampiste. Garretta ne portera pas sur lui tous les péchés du monde : une fois de plus, le monde politique est atteint. En premier lieu, Georgina Dufoix et Edmond Hervé. Et, après eux, Laurent Fabius.
    Celui-ci demande la constitution d’un jury d’honneur dans l’attente d’une modification constitutionnelle qui autoriserait la justice ordinaire à connaître des actes des anciens ministres et secrétaires d’État.
    Il a écrit un long papier dans Le Monde , que je qualifie, au JT de 20 heures, de courageux. Invité le lendemain, dimanche 1 er  novembre, sur TF1, il arrive tout seul, en forme, désireux d’affronter l’opinion publique.
    Seulement voilà : le sujet qui précède son interview, qui donne la parole aux associations d’hémophiles, le met en cause. Aux accusations de Jacques Roux, ancien directeur général de la Santé à l’époque, qu’il entend pour la première fois alors qu’il attend, dans la cabine de maquillage, de passer à l’antenne, je le vois blêmir : « Le salaud ! » dit-il. Il ajoute : « Et personne ne dit d’où ça vient ! »
    Il voulait suggérer que Roux, communiste, le mettait en cause précisément parce qu’il était communiste, peut-être sur ordre. C’est sûr : le procès du sang, le rôle qu’il y joue, ou plus exactement celui qu’une partie de l’opinion lui fait jouer, explique son relatif éloignement de la politique, cette discrétion et aussi cette sorte de dépression qui l’a envahi, semble-t-il, depuis plusieurs semaines.
    Tout me convainc que cette histoire ne fait que commencer : hier, Fabius demandait un jury d’honneur ; aujourd’hui, c’est Edmond Hervé. Depuis New York où il est en déplacement, Bernard Kouchner lâche spectaculairement celui qui était alors ministre de la Santé.
    Tout cela tourne à la confusion, bientôt au drame.
    Comment avoir le temps de tout écrire : le dégoût vient aux lèvres à l’idée des innombrables complots, coups, contre-coups qui marquent chaque semaine, que je pressens plus que je ne les connais. Qui sait pourquoi Fabius est aujourd’hui tout seul, entouré de la peur de ses amis d’il y a quelques jours ? Qui sait, par exemple, qui a sorti le nom de Charles Mérieux 43 , dans l’affaire du sang contaminé ? Est-ce la gauche, pour « mouiller » le RPR ? Est-ce Michel Noir, pour se débarrasser de Meyrieux à Lyon ? Y a-t-il eu, entre majorité et opposition, une conversation de ce genre : lâchez-nous les baskets, sinon nous lâchons nos chiens ?
    4 novembre
    Élection de Bill Clinton à la présidence américaine.
    C’est Giscard, le premier, qui a prédit la victoire de Clinton. L’élection du jeune président américain ne lui fait pas craindre d’êtreringardisé. Il faut l’entendre plaider que, dans certains cas, l’expérience est plus nécessaire que l’innocence...
    5 novembre
    Léotard une nouvelle fois dans la tourmente : renvoi en correctionnelle ou non-lieu ? Son avocat, Patrick Devedjian, assure qu’il bénéficiera d’un non-lieu. En attendant, Léotard est à la une de tous les journaux.
     
    Carreyrou déjeune avec André Gauron.
    « Les journalistes comme