Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qui fait un livre sur elle. Édith Cresson n’autorisera la sortie de ce livre qu’après les élections de mars : « Il ne manquerait plus qu’on m’accuse d’avoir fait battre ou contribué à faire battre des socialistes ! »
Le soir même, dîner chez Tony et Françoise Dreyfus avec Bérégovoy et Rocard. J’aurai rencontré trois Premiers ministres en une même journée !
Rocard est volontairement souriant, presque mondain. Il est, me confie-t-il néanmoins, dans une phase très dure avec Mitterrand. D’ailleurs, à la convention du PS qui a eu lieu la veille, il a dit qu’il lui fallait prendre ses distances, ce qui est une façon de reconnaître qu’il y en a, des distances, entre Mitterrand et lui !
Bérégovoy, lui, est décontracté. Carcassonne, présent, ne m’en dit guère plus : il est persuadé que Michel Rocard sera président de la République et que Jacques Chirac n’est plus menaçant.
Dernier dîner de la V e République de gauche avant les élections.
Pas de regrets. Moins encore de remords. L’impression que rien d’autre n’est possible qu’un abandon provisoire du pouvoir.
Avec, en perspective, l’élection attendue de Michel Rocard, qui apaise bien des inquiétudes.
Fabius et la Haute Cour : in extremis , il a choisi de ne pas y être déféré et de disjoindre son cas de celui d’Edmond Hervé et de Georgina Dufoix.
Est-ce une bonne solution ? Au cours du dîner, Tony Dreyfus me confie que les socialistes lui en veulent beaucoup de sa décision.Dimanche, à la convention du PS, c’est Rocard qui a été ovationné, et Fabius boudé.
18 décembre
À n’y plus rien comprendre !
Hier matin, les socialistes, réunis au siège du Parti, refusent de déférer Georgina Dufoix et Edmond Hervé devant la Haute Cour parce que Fabius a dit qu’il n’en serait pas. Voilà ce pauvre Fabius accusé à la fois de lâcheté et de saloperie ! Décidément, quoi qu’il fasse, c’est mal.
Coup de tonnerre dans l’après-midi : Fabius change à nouveau de décision. Il se soumettra donc à la Haute Cour avec les deux autres. L’Assemblée et le Sénat revotent à la hâte.
On peut retracer sans difficulté la chronologie de cette douloureuse histoire. Fabius est le premier à dire qu’il veut être jugé, mais que la Haute Cour ne lui semble pas le lieu adapté. Mitterrand dit le contraire à la télévision après en avoir longuement parlé avec Fabius : ce n’est peut-être pas ce qu’il faut, la Haute Cour, il faut certes la réformer, mais, pour l’heure, la Haute Cour existe et il n’y a pas mieux.
Donc Fabius, le premier surpris et dérouté, accepte le lendemain de s’y soumettre. Puis, le Sénat hésitant, il saute sur « son absolution » pour renoncer à comparaître. Et c’est alors que les socialistes se déchaînent contre lui !
En fait, les choses sont simples : Fabius a toujours été mal aimé par les socialistes. Ce n’est pas parce qu’il est le plus intelligent d’entre eux, comme dit Mitterrand, ni parce qu’il réinvestit l’une après l’autre les fédérations dont il change les premiers secrétaires fédéraux qu’il est aimé.
Commentaire d’Hubert Védrine, que je rencontre à l’Élysée le lendemain : « Le PS est devenu ingouvernable. Personne n’est capable d’élaborer une stratégie, personne n’est capable de s’y tenir. Autant d’individus, autant de volontés différentes. Pas de sens de l’intérêt général, pas de réflexion commune. »
De Pierre Bérégovoy, il dit qu’il est comme « un chirurgien qui opérerait un malade avec toute la famille présente dans la salle d’opération, le chef de file des infirmières, le représentant syndical du personnel, et tout cela sous les caméras de la télévision ! »
Il trouve le Premier ministre « courageux et sympathique ». Il convient avec moi qu’il a eu la tête un peu enflée lorsqu’il a été aux Finances, mais que les choses se sont arrangées à Matignon.
Hubert Védrine a débuté à l’Élysée à ses côtés en 1981. Bérégovoy 51 lui avait confié la lecture des premiers télégrammes de félicitations des chefs d’État étrangers à l’occasion de l’élection de Mitterrand. Par la suite, ce sont les problèmes internationaux qu’il a le mieux maîtrisés et qu’il a le plus suivis – alors, dit-il avec humour, qu’il lui arrive de n’avoir jamais mis les pieds dans tel ou tel
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