Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
instant, dit-il, je ne souhaite à quelqu’un de vivre ce que je vis. »
Comme toujours, j’ai beaucoup de mal à comprendre, dans ce genre d’affaires, si l’homme qui parle est sincère ou s’il se raconte des histoires à lui-même. Il me dit que Pierre Botton a juré sa perte, que 98 % de ce qu’il raconte est faux, que les juges ne l’aiment, lui, Michel Noir, pas parce qu’il est fils d’ouvrier, que certains d’entre eux éprouvent une sorte de jouissance à l’idée de voir ses relevés de comptes, qu’il faudrait reprendre la procédure à zéro. A-t-on voulu l’abattre ? Qui ça : Chirac ? Sa réponse n’en est pas une, mais je comprends qui il accuse sans le dire :
« Chirac ? J’ai toute la piste. J’ai tout décortiqué, tout analysé. Peu importe : maintenant, les dégâts sont faits...
– Vous encaissez bien ?
– Oui, mais faut pas trop gratter. »
Tout de suite après, déjeuner avec Roland Dumas qui a rencontré Mitterrand dans la matinée. Il confirme entièrement l’analyse que m’a faite Bennassayag : Mitterrand ne fera plus rien pour barrer laroute à Michel Rocard dont il pense l’investiture par le PS à peu près assurée. Il respecte Balladur, il approuve son habileté, ce qui ne l’amène pas pour autant à partager certains de ses choix.
Mon ami Paul Guilbert, qui aime beaucoup Chirac et « couvre » son actualité, me fait dans la soirée un récit des visites de musées qu’effectuent ensemble Mitterrand et Balladur lorsqu’ils sont en déplacement. « Il faut les voir, dit-il, commentant un même tableau pendant plusieurs minutes, faisant l’un et l’autre étalage de culture. » Comme pour montrer que ce n’est pas avec Chirac que Mitterrand aurait pu converser ainsi...
28 novembre
J’ai suivi Jacques Chirac à Marseille où il avait rendez-vous avec les élus locaux des Bouches-du-Rhône. Flanqué de Jean-Claude Gaudin d’un côté, de Jean-Bernard Raimond de l’autre, face au vieux port illuminé par le soleil, il s’est entretenu avec eux pendant plus d’une heure. Comme si toute sa vie politique, tout son avenir dépendaient d’eux.
Je ne sais pas à quoi il pense quand il entend interminablement les doléances des uns et des autres, leurs problèmes électoraux, leur rivalité avec des candidats UDF. Jamais autant que dans ce genre de réunions je ne prends conscience que la politique est un métier.
Ici c’est le cas de Salon-de-Provence qui lui est posé ; le RPR local demande la création d’une commission de conciliation. On va éclaircir la situation, répond Chirac, qui sait fort bien, même s’il veut se donner du temps, de quoi il retourne. En l’occurrence, il ne le dit pas, mais je le sais : il est favorable au maire en place.
Le maire de La Ciotat expose longuement les difficultés de la ville : les chantiers navals ont des problèmes depuis six ans, le risque politique est que la ville choisisse un maire communiste. Peut-on trouver, demande-t-il, des solutions économiques pour rétablir la suprématie du RPR ? « Aucun doute, répond Chirac, il le faut ! »
Olivier X (je n’ai pas entendu son nom en entier) assure que dans le département, Istres et Martigues sont « prenables ». Il faudrait que les ministres viennent sur place soutenir les efforts des militants et cadres RPR. « J’en ai pris bonne note », dit Chirac, que je vois mal aujourd’hui être en mesure d’imposer cela aux membres du gouvernement d’Édouard Balladur !
Raymond Thuillier, le fameux restaurateur des Baux-de-Provence, est inquiet : est-il vrai que Robert Vigouroux 58 , l’actuel maire de gauche à Marseille, ainsi que quelques sénateurs socialistes, aient gagné le cœur de Chirac ?
Celui-ci, la main sur le cœur, d’autant qu’il ne sait pas d’où vient ce bruit : « J’ai vu Vigouroux une seule fois, je l’ai salué, il m’a salué courtoisement : voilà tout. »
Je prends des notes sans arrêt tant je suis fascinée par l’attention que Jacques Chirac, au bout de tant d’années de carrière, apporte encore à ces rencontres. Lui que l’on décrit comme impatient, et qui l’est, dispose d’un trésor de courtoisie, de disponibilité et de temps pour ces micro-débats locaux.
Voici enfin qu’un interlocuteur pose le problème des jeunes qui ne se reconnaissent pas dans les instances traditionnelles du RPR. Chirac y voit à juste titre l’occasion d’une tirade attendue sur la
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