Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
L’Express 31 paru il y a quelques jours qui a été le détonateur d’une affaire cloche-merlesque et pourtant symbolique. Jean-François Probst, proche de Chirac, joyeux drille et actuellement directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie, s’est laissé aller la semaine dernière à quelques confidences intempestives. Il a dit que Chirac était le seul à pouvoir constituer autour de lui une majorité populaire, ce qui n’était pas le cas de Balladur. Il aurait ajouté : « Balladur est libre de rompre le pacte de fidélité, de s’aventurer à être candidat à l’Élysée comme Michel Jobert, Michel Debré ou Marie-France Garaud. »
Ces propos, on s’en doute, n’ont pas été ignorés de Matignon qui a exigé le départ de Probst du ministère de la Jeunesse et des Sports. Je ne sais pas, à l’heure qu’il est, le résultat de la pression exercée sur Michèle Alliot-Marie. Je ne me fais pas d’illusion : Chirac lui-même préférera qu’Alliot-Marie, ministre RPR, reste au gouvernement. Probst s’en ira.
31 mai
Psychodrame autour de Bernard-Henri Lévy et de Léon Schwartzenberg. BHL, qui condamne durement la politique française dans l’ex-Yougoslavie, avait été tenté, il y a quelques jours, de déposer une « liste Sarajevo » aux élections européennes de juin. Léon Schwartzenberg avait envisagé de le suivre. Depuis son départ du gouvernement Rocard, le grand cancérologue n’a pas voulu abandonner la vie publique, pour laquelle il faut bien avouer qu’il n’est pas fait. Le projet avait suscité un intérêt très vif chez d’autres courageux partants, dans des genres aussi différents que l’amiral Antoine Sanguinetti ou André Glucksmann. La question, hier, était de savoir si BHL maintiendrait sa liste aux européennes. Finalement, Bernard-Henri Lévy et Glucksmann ont plaidé pour le retrait de la liste. Antoine Sanguinetti, lui, était décidé à aller jusqu’au bout : « Je suis amiral, disait-il, je ne m’arrêterai pas en chemin ! » Pascal Bruckner et Daniel Rondeau sont restés cois.
Marina Vlady, l’actrice, compagne de Léon Schwartzenberg, demeurée jusque-là silencieuse, s’énerve. Elle trouve que retirer la liste est une preuve de faiblesse, que BHL et Glucksmann sont des pusillanimes. « Tes mains, dit Léon Schwartzenberg, à Bernard-Henri Lévy, lui reprochant ses réserves vis-à-vis de l’action politique,ne sont faites que pour écrire... » « Les mains, coupe Marina, très remontée, ça n’est rien, c’est qu’il n’a pas de couilles ! »
Confusion générale 32 .
1 er juin
Déjeuner avec Martine Aubry. Je la connais peu, car elle ne se livre guère. Je trouve, parmi les femmes qui comptent au PS, que c’est une des plus « professionnelles ». Elle connaît vraiment les problèmes sociaux puisque, depuis sa sortie de l’ENA, en passant par le ministère du Travail, elle a suivi à fond ces dossiers. Elle est bavarde, assez sûre d’elle, et surtout tonique, faisant montre d’un mélange d’énergie et d’optimisme. Un seul défaut dont elle n’a pas conscience et qui lui crée beaucoup d’ennemis : les vacheries, parfois assez drôles, dont, de façon naturelle, elle émaille le moindre de ses propos.
Aujourd’hui, elle se mobilise à peu près entièrement sur sa fondation contre l’exclusion. Des quartiers nord de Marseille aux quartiers sombres d’Angoulême, elle visite tout, atterrée par l’état de déstructuration de certains de leurs habitants, souvent très jeunes, par la drogue, le sida, le chômage des cités ouvrières. Avec une mention toute particulière pour les Hauts-de-Seine où semble se concentrer le « mal-vivre » des jeunes – Pasqua lui a au demeurant demandé l’aide de son association.
Pour le reste, elle parle de Michel Rocard en se montrant loyale, certes, mais sans chaleur ni enthousiasme. Elle a refusé la deuxième place sur la liste européenne, car, me dit-elle, « elle ne sentait aucune politique se dégager derrière les propos de Rocard ». Elle se présentera aux prochaines municipales dans un endroit qu’elle a déjà choisi, sur lequel elle a demandé et obtenu l’avis favorable du président de la République. Elle ne m’en dit pas plus long sur ce sujet, qui, pour le moment, n’est important que pour elle 33 .
Elle continue à me parler de Michel Rocard, « encore trop étriqué, trop fluet ». « Les Assises, le congrès se sont bien passés.
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