Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ministre annonçant plan social sur plan social.
Cette suppression du service militaire obligatoire, le Président la concocte depuis plusieurs mois. Il y voit une réforme bien accueillie par la jeunesse, acceptée par les gaullistes, favorables, comme le général de Gaulle, à l’armée de métier, même si elle est combattue, au nom de l’égalité de tous devant la conscription, par la gauche. Mais qui, aujourd’hui, montera au créneau pour défendre le bon vieux service de papa ? Chirac joue sur du velours. Au surplus, il a pris les précautions nécessaires pour que l’idée fasse son chemin, soit relayée par un certain nombre d’experts, et s’impose enfin à l’opinion publique.
C’est à la fin janvier, il y a plus d’un mois, qu’une étude lui a été remise sur la réforme de la Défense nationale. Il avait alors annoncé qu’il étudierait, comme le rapport l’y incitait, la clarification de la position de la France à l’égard de l’OTAN, l’idée d’une force européenne, ainsi que la création de l’armée de métier et l’instauration d’un service national civique. Un mois plus tard, lorsque adversaires et partisans du service militaire ont eu épuisé leurs arguments, Chirac a donc annoncé, à l’issue de son cinquième Conseil de défense, sa décision.
Tandis que la bagarre entre supermarchés et petites épiceries, les choix budgétaires urgents, les hurlements contre l’augmentation de la TVA, les violences à l’école et dans les banlieues, tout cela relève du domaine du Premier ministre. Le domaine du quotidien où Alain Juppé ne quitte un front que pour courir se battre sur un autre.
Résultat : des sondages stables, plutôt à la hausse, pour le Président dont la cote redevient positive pour la première fois depuis septembre, et des études qui montrent au contraire l’affaiblissement continu d’Alain Juppé dans l’opinion publique 14 . Il n’y a rien là que de naturel sous la V e République, à ceci près qu’une chute du Premier ministre peut, à la longue, rejaillir sur le Président au lieu de le protéger.
Je me dis que les courbes divergentes des sondages sont aussi révélatrices de la différence des tempéraments politiques entre Chirac et Juppé. Le Premier ministre a beau faire des efforts, il ne parvient pas à s’épaissir le cuir, et s’indigne de se voir incompris. Saint Sébastientranspercé de flèches, il continue à souffrir comme un damné des attaques qui le visent.
Jacques Chirac, lui, est mithridatisé depuis belle lurette. Les coups glissent sur lui. Il est comme Mitterrand : il en a vu d’autres.
3 mars
Il paraît qu’hier, à l’issue du conseil national du PS, Laurent Fabius a incité ceux qui s’expriment au nom du parti à ne pas oublier d’attaquer Jacques Chirac. Il a raison, de son point de vue. Si la gauche n’attaque que le Premier ministre, elle conforte a contrario le Président. Il est persuadé, lui – voir plus haut – que si Alain Juppé patauge, c’est que Chirac s’enlise. Sa conclusion est que les attaques des socialistes doivent viser les deux hommes, et pas seulement l’hôte de Matignon. Solidarité d’un ancien Premier ministre à l’égard de l’actuel ? Quelque chose comme cela : pour le coup, Fabius a l’expérience de la chose. Il sait que, sous la V e République, il est difficile, hors période de cohabitation, de découpler les difficultés d’un Premier ministre et la politique voulue et suivie par le Président.
Autre préoccupation du PS, concomitante : comment trouver la bonne distance vis-à-vis du projet européen présenté par Jacques Chirac ? Comment décélérer sur un terrain où François Mitterrand a longtemps fait fonction de moteur, celui de la construction de l’Europe ? Lionel Jospin a bien perçu le danger. Il craint de voir le PS se couper entre socialistes pressés de retourner à leur culture d’opposition, et ceux qui veulent garder, pensant y revenir bientôt, la culture du pouvoir. Les premiers condamneraient volontiers l’Europe de Jacques Chirac. Les seconds se disent que, s’ils reviennent aux affaires en 1998, il leur faudra gérer les choses, et que mieux vaut ne pas être trop iconoclastes. Résultat : le PS a concocté un texte habile qui « n’accepte pas la réduction de l’Europe au seul marché », et ajoute du social, beaucoup de social, à l’application prochaine du traité de Maastricht.
7 mars
Après les
Weitere Kostenlose Bücher