Chronique de mon erreur judiciaire
nervosité monte d’un cran. Le stress est collectif. Et si là, je vivais les derniers instants de ma vie ? Craignant d’entendre le timbre de la cour et une condamnation, je sors de la salle d’audience. Une demi-heure plus tard, deux membres désignés de chaque famille nous rejoignent. Dany fait monter une personne du comité de soutien de l’abbé Dominique. Dans cette conversation d’un quart d’heure, ma petite sœur m’indique que le palais de justice est cerné par de nombreux CRS et les journalistes très nerveux.
20 h 30. Je suis seul dans le prétoire. J’ai mon blouson sur le dos mais je suis frigorifié. Je songe au procès fleuve, au gâchis engendré, aux innocents victimes d’un enfant fou. Je pense à tant de vies brisées et aux propos tenus par le juge Lambert qui, dans un livre, écrit : « Le juge d’instruction […] possède cet incommensurable pouvoir, source de nombreuses erreurs judiciaires, d’orienter les réponses en fonction de la seule formulation des questions », et encore : « Le seul problème est que les magistrats ne sauront jamais être regardés comme de simples techniciens du droit, des énarques des codes civil et pénal. »
À 22 heures, un CRS m’extirpe du recoin où je me suis réfugié à l’abri des regards et des conversations. Somnolant, recroquevillé sur moi-même, le policier constate que je ne vais pas très bien et m’accompagne vers les pompiers. Encore une fois, c’est le psychique qui en prend un coup. Mon âme vagabonde : dans deux heures, nous serons le 2 juillet 2004 or un an auparavant, jour pour jour, j’entamais la grève de la faim qui me permit une libération conditionnelle. Est-ce un signe ?
*
22 h 45. L’attente dure. Le désarroi gagne du terrain.
Les discussions autour de moi sont moins vives, en comité restreint. Heureusement, la connivence perdure et nous échangeons des sourires, des paroles de réconfort, des gestes d’amitié.
Les avocats vont et viennent. Rien ne filtre de la salle des délibérations. L’appréhension se fait chaque seconde plus intense, plus forte, plus douloureuse. Je termine la pipe que j’étais en train de fumer et vais m’asseoir sur mon siège. Quand je vois nos défenseurs s’affairer et enfiler leurs robes noires, je m’interroge : est-ce bientôt le début de la fin ?
Seul, délaissé, j’aimerais prendre Odile dans mes bras mais elle m’ignore. Alors je songe à ma mère, morte par cette affaire. Quand la rumeur se répand qu’il y en a encore pour deux heures, je vois nos avocats replier leurs habits et repartir au bistrot. Un douloureux procès d’assises devient un bon procès quand on peut le refaire sur le zinc.
*
23 h 30. Rien de nouveau ! L’épuisement est à son comble. Dehors, plus de deux cent cinquante journalistes attendent devant le tribunal. La foule paraît tellement dense qu’il n’est plus possible d’entrer ou de sortir dans la ruelle. Selon un bruit de couloir, une des avocates des parties civiles aurait demandé à un policier combien de fourgons étaient prévus. Quand on lui aurait répondu « quatre », elle aurait jugé le chiffre tout à fait insuffisant. Revenu dans la salle d’audience, discrètement je vérifie mon tube de médicaments et ma bouteille de poison. L’heure du verdict approche. Dans tous les sens du terme.
*
Minuit sonne et nous sommes le 2 juillet 2004.
Lorsque des avocats commencent à regagner le tribunal, je suis pris d’une fatigue nerveuse incommensurable. J’ai un ouvrage en main mais je n’arrive pas à le lire. Alors, la tête dans les bras, je tente de me détendre.
Il est maintenant une heure du matin quand, assoupi sur un des bancs du prétoire comme d’autres avec qui je me suis mis tête-bêche, j’entends des rires nerveux, des discussions superficielles. Vingt minutes plus tard, le public et les familles sont invités à entrer. Devant la cohue et la bousculade, nous avons tous un air grave.
Chapitre 51
Le verdict
ou
Tout ça pour ça
Petit matin du 2 juillet 2004. 1 h 30.
— Les assises, vous entrez ! lance le policier habituel.
Je m’installe sur mon siège, fort de ma résolution : je quitterai ce tribunal avec ma sœur ou dans un corbillard mais en aucun cas menotté dans un fourgon de police.
Les accusés détenus entrent en piste, Myriam Badaoui en tête, sensiblement fatiguée malgré son éternel rictus ; suivie de Thierry Delay, égal à lui-même, et de
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