Chronique de mon erreur judiciaire
noir, je veux faire disparaître ce corps puant, sale, entaché d’une condamnation répugnante, le mien. À travers la fenêtre, je vois tomber une pluie diluvienne. Si l’eau purifie, je connais la seule chose qui pourra laver la souillure entachant désormais mon honneur : faire un bras d’honneur à la vie horrible qui est désormais la mienne.
Je cherche mon sac à dos et mes poisons, mais il a dû rester au rez-de-chaussée. Pas de chance décidément. De peur d’éveiller les soupçons, je dois trouver une autre parade.
Mes poches de pantalon sont vides mais trônent, sur le bureau de la chambre, quelques médicaments abandonnés par hasard. Je découvre deux fioles de Theralene®, une plaquette de Stilnox® et une boîte d’Anafranil®. Ma résolution est désormais intangible : adieu la vie.
Lorsque j’avale le Theralene®, le choc est tellement fort que j’en ai le souffle coupé. Pour ne pas flancher, j’absorbe d’un coup le somnifère, le contenu de l’autre fiole, les comprimés d’Anafranil®.
Et je m’allonge, enfin heureux de m’endormir en route vers d’autres cieux.
Chapitre 53
Chez les fous
ou
L’enfermement douillet dans lequel je me complais
Le Théralène®, le Stilnox®, l’Anafranil®, mon cortège de fioles d’apothicaires n’aura donc pas suffi à me faire mourir. Une fois de plus, à ma grande surprise, à mon grand désarroi, je me réveille. Ce n’est pas faute d’avoir longtemps prié, la veille, une dernière fois. Les mains jointes dans l’obscurité, le regard tourné vers l’au-delà, j’avais chuchoté ces paroles : « Seigneur, je suis prêt. Maman, j’arrive…» À cet instant précis, j’étais bien, le corps engourdi, mes pensées allégées par la proximité du sommeil définitif.
Raté. Une infirmière me sort doucement du coma. Elle m’apprend que je suis arrivé hier matin aux urgences réanimation de l’hôpital Calmette de Lille. Passé le flou des premiers instants, je découvre avec effroi ma chambre truffée d’appareils médicaux, cette forêt de câbles chargée de ma survie. Aucune parcelle de mon corps n’est épargnée par cette surveillance médicale en réseau. Mon bras droit est attaché à un tensiomètre, le bout de l’index pris dans la pince d’un saturateur, et j’ai le thorax parsemé de plusieurs de ces petites ventouses qui branchent le corps humain sur écoute, en le reliant à différentes machines.
Je perds la notion du temps. Mon esprit vagabonde, pris dans le ballet incessant d’un va-et-vient entre hier et aujourd’hui, depuis ce passé encore si proche, où j’étais quelqu’un, vers un présent qui fait de moi une loque. Le verdict m’obsède, le verdict m’étouffe, et j’enrage de m’être manqué encore une fois.
Un médecin vient me signifier mon transport vers l’hôpital d’Armentières. Depuis le 14 novembre 2001, c’est mon septième séjour en hôpital psychiatrique. Pour moi qui n’avais jamais croisé de blouses blanches auparavant, étais sain de corps et d’esprit, ne prenant jamais de médicaments, quelle performance ! Mais cette « performance », n’est-ce pas plutôt la justice qui l’a accomplie ?
Je ne m’entends prononcer aucune parole. Deux brancardiers m’emportent déjà vers une unité médicale qui n’a rien à voir avec celles qui l’ont précédée. Cette fois, je suis admis en hospitalisation lourde. Moi qui croyais avoir tout connu de ces séjours pour malades mentaux, à Clermont, au centre Pinel d’Amiens, je touche le fond : plus d’habits, seulement un slip, une blouse, des chaussons. Cette fois, ça y est. J’y suis pour de bon. Je suis chez les fous.
*
Nous sommes le 3 juillet 2004, jour de mon arrivée à Armentières. Je retrouve ce que j’ai noté, ce jour-là :
J’arrive dans un service fermé à clefs. Deux infirmiers me donnent à manger une poire et des fraises. L ’unité du service est propre, en bon état. Une pièce de vie où trône la télé, avec des fauteuils et des chaises. Le bureau des infirmiers se trouve en partie centrale. Ils sont nombreux, et je commence à comprendre pourquoi. Des gens chantent, d’autres crient, d’autres cherchent la bagarre. Grand couloir central. On me conduit dans ma chambre, la 2023. Le mobilier est succinct : un lit, une table de nuit et une armoire. Il y a même un lavabo.
Je m’assois dans un fauteuil où je reste là, pendant une heure, à penser les yeux dans le vide. Le
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