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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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médecin de garde vient m’ausculter.
    C’est une dame gentille, mais je ne sais pas lui avouer le crime pour lequel j’ai été enfermé. J’ai trop honte. Je retourne ensuite dans la salle où je reste dans un fauteuil, habillé d’un pyjama et d’une paire de chaussettes à titre de chaussons. À 18 h 45, c’est l’heure du repas. J’ai droit à un bol de soupe, des fruits et des légumes. On me fait prendre mes médicaments. De retour dans ma chambre, à 20 heures, un infirmier me donne trente gouttes de Théralène®, et je m’endormirai vite.
    Me voilà dénué de toute autonomie, privé de toute initiative. Mes journées se déroulent sans moi, et je ne fais que suivre le fil d’un emploi du temps préprogrammé où je n’émets aucun choix, aucun désir. Je n’ai droit à rien, mais cela m’est égal. Surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je ne suis même plus autorisé à faire quelques pas, seul, dans l’enceinte de l’établissement.
    Chaque matin, on vient me réveiller, et je vais prendre ma douche, ce moment de grâce que j’attends, et qui me permet de me nettoyer dans les moindres recoins. Je me frotte à m’en abîmer la peau, tant j’ai une phobie de la crasse, dans tous les sens du terme, une crasse physique et mentale. Puis je dois rejoindre un troupeau de pensionnaires hébétés au pied de l’ascenseur. Je porte toujours le même uniforme, composé d’un bas de pyjama, d’un marcel et d’une paire de chaussons.
    On nous compte et recompte en permanence, tels les enfants d’une école que l’on force à monter deux par deux dans un car, afin de s’assurer qu’aucun d’entre eux ne manque à l’appel. Puis, c’est le même rituel qui s’instaure pour la journée : déjeuner ; sieste – très longue ! ; télé et souper. En fin de journée, à 20 heures précises, la télé s’interrompt automatiquement. Une heure plus tard, dans ma chambre, la lumière s’éteint toute seule elle aussi.
    *
    Je suis un vivant qui meurt sa vie chez les fous, mais je ne m’en plains pas, même si je suis entouré de personnes qui ne sont pas de nature à donner le goût de vivre. Je note sur mon cahier les nouveaux arrivants, surtout les nouvelles arrivantes, dont je fais un portrait succinct. En général, un mot me suffit à les décrire : une « guindée », un « tas », une « maigrelette ».
    Sur le coup, loin de toute cette boue judiciaire, et de tous ces mensonges proférés contre moi, je me sens presque heureux. Ma famille me rend visite, ainsi que quelques proches ; les doses médicamenteuses produisent l’effet d’un matelas douillet entre la réalité et moi, et ce sort d’interné perpétuel me paraît alors très acceptable. Je m’étonne même agréablement de ma capacité à ne rien faire. Je l’écris en toutes lettres :
    Je ne pensais pas qu’il était possible de rester des jours sans rien faire. Dire qu’il est possible de rester oisif sans s’ennuyer , c’est vraiment superbe.
    Mais les lignes qui suivent montrent, avec le recul, la gravité de mon état :
    J’entretiens une amitié avec une pensionnaire comme moi, accidentée de la vie, et qui a elle aussi toujours des idées de suicide, mais je garde ma méthode pour moi, au cas où…
    Je rencontre alors des problèmes d’alimentation, qui perturbent un peu cette vie végétative. Mon organisme agressé de toutes parts n’en finit plus de refuser ce qu’il acceptait, et appréciait autrefois sans problème. Un soir, j’ai mangé des cacahuètes, une gourmandise que j’apprécie plus pour leur consistance que pour leur goût, cette notion de saveur que je commence seulement à retrouver. Mais quelques heures plus tard, je paie la note en essuyant une sévère crise d’acétone. Et les arachides iront ainsi rejoindre la liste, de plus en plus longue, des aliments que je ne supporte plus : viande, bien sûr, et ce depuis des mois déjà, citrons, bananes, ainsi que tous les excitants (café, thé, tabac). Et je m’interroge sur les caprices de mon corps, cette drôle de machine, capable de résister à l’ingestion massive de doses médicamenteuses, mais devenu rétif, désormais, aux mets les plus simples : un thé, une cigarette, un jus de citron !
    J’allais oublier de mentionner ce poids lourd et sourd qui ne me quitte pas, malgré tout le mal que le personnel médical se donne pour m’endormir dans une vie exempte de souffrance : l’envie de mourir.

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