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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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Cette tentation-là couve en permanence, tapie au fond de moi. Heureusement, les traitements de cheval auxquels je suis soumis forment une barrière qui m’empêche de passer à l’acte…
    Mais le personnel soignant se méfie de ma ténacité, et mes tentatives réitérées me valent quelques privations pénibles. Ainsi je note
    Après la visite de Dany, à 16 heures, je soupe à 18 h 30, regarde les informations sur France 3, puis réclame mon cordon d’alimentation pour ma radio. En effet, ils craignent tellement que j’attente à mes jours que je ne peux l’avoir que sur autorisation. Un jour, je l’ai réclamé, et alors que j’allais regagner ma chambre, j’ai été pris d’une envie d’aller aux toilettes, où je suis allé avec le câble radio. L’infirmière me l’a tout de suite réclamé, et en plein effort, j ’ai dû le lancer par-dessus la porte des cabinets !
    *
    Peu à peu, cependant, mon état s’améliore. Je constate qu’au fil des jours l’étau se desserre. Quelques semaines après mon admission, on me laisse circuler librement dans les couloirs de l’établissement. Sans changer de lieu, je passe d’un milieu fermé à un milieu ouvert. Va pour les promenades en pantoufles sur le carrelage à losanges. Dans mon fort intérieur, je me sens toujours aussi résigné, dénué d’émotions. Plus de joie, une peine diffuse. Cette vie à l’état de semi-légume va durer deux mois et demi. Jusqu’à ce qu’un médecin appose une étiquette sur ma réalité. C’est une chef de service au caractère bien trempé qui me reçoit, un matin. Sans ambages mais avec politesse, elle me signifie mon nouveau statut : handicapé.
    Handicapé mental ? Les paroles qui se détachent de ses lèvres fines ne laissent aucun doute sur l’irréversibilité de mon état présent et futur, un homme incapable de se prendre en charge : « Pour vous, monsieur Marécaux, je sollicite l’AAH, Allocation Adulte Handicapée. Vous allez quitter l’hôpital pour rejoindre un logement thérapeutique. » Il s’agit là d’un petit appartement au sein d’une résidence surveillée. Je vivrai sous la surveillance constante d’un gardien. Il aura les clefs, pourra m’empêcher de sortir. Il gérera ma vie.
    Surveillé, nourri, assisté. Je peux réclamer la visite d’un psy, d’un infirmier. On compose mes repas, mes allées et venues sont contrôlées, on veille sur mes occupations. Un centre de balnéo-thérapie me prodigue des séances destinées à soulager mon mal de dos chronique, ce dos qui porte les stigmates de ma grève de la faim. J’ai droit aussi à de douces promenades dans le parc.
    Je pense alors que je suis enfermé pour longtemps, et cela ne me fait ni chaud ni froid. Je suis dans l’acceptation totale de mon sort, très content parce que je me sens protégé, à l’abri des harcèlements, du jugement des hommes et de ma propre honte. Me voilà devenu fataliste. Terminé, l’huissier de justice, l’homme qui hurle son innocence, qui pleure son passé. Puisque mon cher passé, celui d’avant le 14 novembre 2001, ne reviendra pas, l’avenir ne présente qu’un intérêt très limité, et je préfère me contenter de ce présent douillet.
    Les capacités intellectuelles du gentil benêt que je suis devenu se réduisent à quelques lectures, quelques programmes télé, et ce réflexe que j’ai gardé, le seul, peut-être, depuis le jour de mon incarcération, de continuer à consigner par écrit le contenu de chaque journée. Replonger dans mes cahiers d’écolier me permet aujourd’hui de dire dans ce livre l’incroyable degré de débilité que j’atteignis alors.
    Mes après-midi se meublent d’activités pour jeunes déficients mentaux ou vieillards stimulés dans quelque service de gériatrie. Ainsi, je note :
    Aujourd’hui, avec l’ergothérapeute, j’ai choisi comme activité “la terre”. J’ai fait des bonhommes en pâte à modeler. J’ai aussi décidé de fabriquer une crèche. Mais j’ai fait seulement les murs. Et dire que j’ai dû attendre quarante ans pour faire de la pâte à modeler !
    Une autre page de mon cahier journal indique :
    Après le déjeuner, à 13 h 30, j’ai fait des traits de différentes couleurs à la gouache sur une grande feuille.
    Et une autre encore, qui ferait sourire mes enfants :
    Aujourd’hui, il fait beau, je vais sortir dans le parc pour construire une cabane avec des billots de bois !
    Tout, j’accepte

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