Chronique de mon erreur judiciaire
nourriture est vraiment trop repoussante. De même ai-je beaucoup de mal à dormir puisque constamment dérangé dans mes rêves et mes songes par le son terrible d’une télévision qui dévide à tue-tête des programmes affligeants. Heureusement, il me reste le refuge de la lecture. Parmi la liste des livres de la bibliothèque, je me saisis d’une méthode d’anglais, d’une vie de Clovis et de plusieurs nouvelles d’Alfred Hitchcock.
Le lundi suivant, je subis la procédure habituelle pour les arrivants : la rencontre avec l’assistante sociale. Ma première question porte sur ma famille et elle me promet de se renseigner. Après quoi elle me fait décliner mon identité et mon niveau d’éducation. Je me confie à elle, éprouvant l’impérieux besoin de m’exprimer, lui relatant la bévue commise par le système judiciaire.
Le lendemain, nouvelle démarche. J’ai droit à une radio des poumons, puis à un entretien avec le chef de détention. Quand j’entre dans la pièce et lui tends la main par politesse, je fais chou blanc. J’ignore quelle déontologie lui interdit un simple geste de courtoisie, mais sans doute qu’en milieu carcéral les codes éducatifs n’ont-ils pas les mêmes valeurs. Heureusement, il paraît à l’écoute et quand je lui expose les raisons de mon incarcération, il me conseille, compte tenu de la tournure médiatique de l’affaire, de ne pas bouger de ma cellule et de ne pas me risquer en promenades.
*
Après une semaine d’insomnie et de malnutrition, un surveillant m’apporte un courrier du procureur de la République relatif à la suppléance de mon Étude. Ce qui me fait tout drôle. Pensant que je n’en ai pas pour longtemps, je lui réponds en nommant les confrères que j’imagine pouvoir me remplacer provisoirement.
En fin de journée arrive de la maison d’arrêt d’Amiens un détenu condamné à vingt ans de détention et qui a fait appel. Nous sommes désormais dix ! Vu le manque de place, il doit dormir par terre, sur un matelas à ce point gorgé d’humidité que l’on doit réclamer un carton à poser à même le sol pour l’assécher. De mon côté, je passe mon temps à regarder par la fenêtre, lire, jeter un œil sur certaines émissions télévisées, à faire quelques parties avec un partenaire d’échecs. De quoi essayer de tuer le temps en attendant que le ciel s’éclaircisse. Le lendemain, mon avocat me dévoile les conclusions qu’il va présenter à la Cour et, une fois encore, il se montre confiant.
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La gorge nouée, les yeux en permanence au bord des larmes, l’esprit broyé par l’horreur des accusations, je n’en peux plus. Voilà maintenant dix jours que je suis emprisonné, endurant l’opprobre et la diffamation, tenu à l’écart de ma famille, transpirant l’angoisse d’un quotidien affreusement vil dans les mêmes habits et sous-vêtements. Au nom de quel droit la société m’a-t-elle retiré ce que j’avais de plus cher au monde ? Ma femme, mes enfants, ma liberté : je suis sûr que je les retrouverai, mais quelle relaxe pourra me laver du déshonneur ? Et puis, comment retrouver mon Étude ? Je me perds en bouffées de colère et crises de désespoir : va-t-on enfin comprendre que nous sommes victimes d’une erreur judiciaire ? Le train infernal qui m’emporte en renversant tout ce que nous avons construit sur son passage s’arrêtera-t-il un jour ? Et si personne ne tire le signal d’alarme, qu’adviendra-t-il, des miens, de moi ?
À défaut, je me laverai par la mort. Je prévois déjà mes funérailles, avec ma dépouille enterrée dans le parc de la maison, sans cercueil mais avec une graine plantée à quelques centimètres de moi pour qu’elle y puise la force que j’ai eue durant ma vie. Des idées noires me gangrènent peu à peu. Mais n’est-ce pas normal chez quelqu’un qui, en moins de quinze jours, a vu son univers se déliter et ce qu’il avait bâti s’effondrer ?
J’apprends aussi la nécessité de ne pas manquer d’argent en prison. Notamment à cause de la liste de tickets alimentaires – les bons de cantine – mise à la disposition des détenus et destinée à améliorer l’ordinaire. En puisant dedans, on peut acheter des pâtes, des bonbons, du tabac, des boissons, des timbres ou des enveloppes… si on possède quelque pécule. Des revenus obtenus soit grâce à des mandats envoyés par les familles, soit en travaillant à l’atelier de la prison.
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