Chronique de mon erreur judiciaire
cellule, lit, larmes – mais tout m’indiffère. Je commence à évoluer dans un monde parallèle, où la souffrance de l’injustice le dispute à l’indifférence du destin. Nous avons reçu, pour tuer le temps, des jeux de dames, d’échecs et un jeu de cartes, parties qui se prolongent tard dans la nuit, mais je sens bouillir en moi quelque chose de mauvais, comme une métamorphose nerveuse qui me conduit à des pensées inhabituelles. Moi qui suis d’ordinaire fort respectueux de la justice et des magistrats, de la force publique et de ses représentants, je suis gagné par une rancune contre certains représentants de ces institutions.
*
Dernier jour de l’année 2001. Je reste au lit, accablé, désespéré, brisé à l’idée de ne pouvoir avoir autour de moi ma femme et mes enfants. Quand, à 10 heures, je me lève enfin, je découvre que je suis incapable de lire. Suis-je en train de devenir fou, torturé par la pensée que la fratrie est cassée, que mes enfants passeront la Saint-Sylvestre avec des étrangers ? Heureusement, en fin de matinée, un rayon de soleil illumine cette morne date : je reçois une lettre d’Odile. Douceur et terreur. Bonheur de la lire mais tristesse de constater combien elle souffre autant que moi. À sa lecture, je pleure, conscient de mon impuissance à répondre à ses appels au secours.
Mon humeur se détériore d’heure en heure et je finis par devenir agressif. Devant mes sœurs venues au parloir l’après-midi qui tentent de me rassurer en répétant que le temps joue pour nous, j’en arrive à penser que ce type de remarque est facile à faire de l’autre côté de la barrière. Mais que moi j’en ai assez et que je vais entamer une grève de la faim.
Le soir, le dîner amélioré qui nous est servi prend directement le chemin de la poubelle. Comment avaler un boudin blanc en lambeaux ? Comme pour le réveillon du 24 décembre, nous avons heureusement préparé notre petite tambouille. Avec le même « apéritif maison », du foie gras, du boudin blanc, du cochon de lait, du fromage, une galette des rois, et du café avec des pralines. Nous regardons la télévision en mangeant, je ris et pleure tout à la fois, nouvel indice du sérieux déséquilibre qui entame ma raison. À minuit, dans toute la prison, des hurlements s’élèvent. Les détenus du premier étage balancent par la fenêtre des rouleaux de papier-toilette enflammés et frappent du poing sur les portes et les fenêtres. Le tintamarre dure au moins dix bonnes minutes, chahut durant lequel chacun se serre les mains et formule des vœux. La suite ? Le concert de Michel Sardou à Bercy retransmis à la télévision.
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Samedi 5 janvier 2002, je prends une grande résolution : désireux de laver mon honneur, je veux en finir avec la vie. Toutefois, puisque je n’ai pas le courage de m’ouvrir les veines, je choisis de commencer une grève de la faim et d’attendre avec impatience la visite de mon avocat pour lui exposer mon choix.
Je prends ma douche à 8 heures, retourne au lit puis me lève pour le déjeuner, rengaine de la vie carcérale. Maître Delarue se présente en fin d’après-midi en me confirmant que l’appel de ma détention provisoire a été rejeté mais qu’il va déposer une autre demande. Je lui confie alors, ferme et décidé, quelle sera la nouvelle bataille que j’engage : cesser de m’alimenter pour attirer l’attention sur l’injustice qui me foudroie. Il tente de m’en dissuader, mais sans succès. Quand il m’avertit que ma mère a été hospitalisée, ma détermination se renforce. Après ma femme, mes enfants, voilà que ce scandale et cette incarcération arbitraire atteignent aussi maman.
En cellule, allongé sur mon lit, j’essaie de calmer ma fébrilité en confiant mes intentions à certains de mes codétenus. Ils me soutiennent. Pour tenir le coup sans manger, j’ai recours à des cachets. Le dimanche, après la messe de 10 heures et un entretien avec l’un des aumôniers, ma conviction s’étaye. Puisqu’on ne veut pas m’entendre, je vais essayer de faire parler de moi.
Chapitre 12
Se laisser dépérir pour en sortir
ou
Entamer une grève de la faim
Les jours se suivent et se ressemblent dans la noirceur et la déprime. Sommeil incertain, parloir où mon neveu Damien m’apprend que ma mère est toujours hospitalisée, dîner servi à 17 h 30 auquel je ne touche pas, bien que je commence à ressentir fortement la faim,
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