Chronique de mon erreur judiciaire
Boulogne-sur-Mer dans le vieux fourgon cellulaire. Parvenus au palais vers 15 h 30, nous sommes en retard mais personne n’est encore là. Ni le juge, ni mon avocat. Celui-ci apparaît vers 16 h 15, accompagné de ma sœur Dany, une présence qui ne me dit rien qui vaille. Dès qu’elle me voit, elle se précipite dans mes bras et éclate en sanglots en me révélant, droit dans les yeux :
— Maman est décédée cette nuit.
Je n’en crois pas mes oreilles. Comment est-ce possible ? Hagard, je m’assois, titubant. Dany tente ce qu’elle peut pour me calmer, me serre fort, me précise que maman étant morte durant son sommeil elle n’a pas souffert, mais rien n’y fait, je sombre. Incapable de me calmer, assommé par le choc de cette disparition imprévue, le décès de celle que j’aime par-dessus tout mais que je n’ai pas pu revoir, je subis une violente crise de nerf. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi nous ? Pourquoi n’ai-je pu lui dire quelques mots ? Pourquoi ce drame qui me broie et qui, c’est évident, l’a aussi atteinte et sans doute tuée ?
Devant ma douleur, maître Delarue suggère de reporter l’entretien à un autre jour, mais je refuse, ne pouvant supporter l’idée de me rendre à Boulogne une nouvelle fois, endroit ayant connu tant de bons souvenirs passés que je refuse de souiller. Mais ce sursaut s’avère de courte durée. Quand on m’extrait de la geôle et que je croise, dans le couloir, mon neveu Damien et sa fiancée Laurianne, les yeux rougis de peine, je reçois à nouveau en plein visage tous les malheurs qui fondent sur notre famille et me remets à pleurer. La pression, la tension, l’émotion explosent. Affaibli par la grève de la faim et le choc que je viens de recevoir, mon corps flanche… et je m’évanouis.
*
Quand je reprends connaissance, je suis à terre, dans un coin de la pièce, ma sœur et un gendarme à mes côtés en train de me tapoter les joues. L’avocat considère que je ne suis pas en état de subir l’interrogatoire, mais j’insiste pour que cette confrontation avec celui que j’appelle au fond de moi le « chef de bande » ait lieu. Un sobriquet on ne peut plus pertinent en la circonstance puisque Dany me confiera par la suite que le juge, arrivé dans son bureau, m’avait vu tomber dans le couloir mais n’avait pas levé une fesse de son fauteuil.
Pourquoi fait-il preuve d’une telle absence de compassion ? Je l’ignore. En tout cas, ne lui viennent pas à la bouche de simples paroles de condoléances. Alors que maman est morte avec son chagrin, un chagrin dont je l’estime en partie responsable ; alors que moi-même je suis sous le coup de cette affreuse nouvelle, il fait comme si de rien n’était. Pire, quand il reprend la parole, il m’interroge sur mon passé, ma famille, mes parents et même… maman. Il me demande ainsi ce qu’elle « fait » et quand je lui dis qu’elle est décédée, il me rétorque : « Je sais ; ce qu’elle faisait alors ? » Ensuite, il embraye sur mes instituteurs, mes professeurs, ma jeunesse, mes passions, mes études, sans une once de compassion.
L’interrogatoire se termine. Mon avocat ne pipe mot, gêné de la froideur du juge et confus devant son indifférence. En sortant du bureau, je me jette dans les bras de Dany et recommence à pleurer avec Damien et Laurianne.
Tant de pleurs pourraient êtres taxés d’infantilisme, mais ce sont les circonstances qui les font couler ! Un homme innocent, emprisonné dans les pires conditions, apprend la mort de sa mère sans que quiconque s’en émeuve. Et pendant ce temps-là les gendarmes s’occupent du carburant de leur véhicule anormalement bas ; et pendant ce temps-là le magistrat poursuit son instruction à charge ; et pendant ce temps-là, la presse nous voue aux gémonies sans encore voir la vérité. Quel gâchis !
Arrivé à la prison, fourbu, je découvre mes codétenus désolés du malheur qui me frappe mais pas pour autant prêts à changer leurs habitudes. Je me couche donc dans le bruit et le froid, en avalant mes médicaments et en recommençant à pleurer, convaincu que je dois rejoindre maman dans l’au-delà parce que telle est ma destinée.
Ce jour-là, je prie le seigneur de ne plus me réveiller.
*
J’y songe encore et encore, toujours et sans cesse : maman est morte sans moi. Pire, maman est morte « à cause » de moi, ou plutôt de ce qu’on nous fait subir. Qui pourra jamais
Weitere Kostenlose Bücher