Chronique de mon erreur judiciaire
étrangers mais il est fort probable que leurs vacances de février ne se dérouleront pas non plus en famille !
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Ce soir, repas au réfectoire. J’y fais la connaissance de Cédric, placé ici depuis quatre ans, alors qu’il était encore mineur, traumatisé par un viol perpétré dans son enfance. Ses vingt et un ans lui donnent un solide appétit et je ne mange quasiment pas comparé à lui. Nous discutons un peu. Le lendemain, j’échange quelques mots avec le docteur Molto qui m’avertit que le juge d’instruction conteste mon séjour à Clermont, notamment à cause de risques de visites, pourtant hypothétiques, mais aussi que je peux me faire hospitaliser dans le service spécialisé de la maison d’arrêt d’Amiens si je le souhaite. Bien qu’écœuré par cette nouvelle décision susceptible de m’éloigner de cet endroit où je reprends des forces, j’accepte néanmoins la suggestion… puis je retourne me coucher jusqu’à 16 heures où une infirmière m’administre un cachet pour la tension. Suite à l’autorisation du médecin, je peux aussi – et enfin – m’habiller normalement et ôter le pyjama réglementaire dans lequel je déambulais. Lorsque je descends manger, mon moral a chuté de plusieurs crans : le coup de poignard de l’administration me vrille à nouveau l’esprit. Au fond de moi, j’ai désormais l’impression qu’on désire m’éliminer physiquement. Car, après tout, en quoi rester en ces lieux ou recevoir des visites peut-il gêner leur travail. Je tourne encore et encore ces questions, ces hypothèses, ces supputations dans ma tête et replonge dans l’abîme. Mon cafard ressurgit, plus lourd et pénible, et mes proches me manquent plus que jamais. Quelle échéance ai-je désormais devant moi ? Uniquement celle du 5 février 2002, date de l’éventuelle « libération » de mes enfants. S’ils parvenaient à regagner nos familles, je l’interpréterais comme une première victoire, en attendant la libération d’Odile, puis la mienne. Des plans sur la comète, certes, mais au moins m’aident-ils à ne pas perdre totalement pied, à ne pas entrer sans résistance dans le monde terrifiant de la folie réelle.
Car il me faut aussi prendre conscience et assumer le fait que je suis interné en hôpital psychiatrique, gommer la répulsion d’être ici comme j’avais honte de séjourner en prison. Bien que les conditions de vie soient meilleures, je me pose en effet des tas de questions. Dont l’essentielle : est-il encore utile, pour moi, de vivre ? Une interrogation à laquelle je ne parviens pas à donner une réponse claire. Je ne sais plus, je suis perdu, je voudrais retrouver mon équilibre d’avant mais je tourne en rond, cogitant à tout-va, ne supportant plus d’être coupé du monde extérieur, de n’avoir aucunes nouvelles d’Odile, des enfants, de papa. Mon beau-frère Dominique téléphone tous les jours, on m’en informe mais je ne peux en aucun cas lui parler. La consigne, toujours la consigne. Moi, seul dans mes pensées, je ressasse sans cesse l’accumulation de drames qui m’accablent. Je songe aux temps glorieux où tout allait bien, avant qu’on ne m’interne, que mon Étude soit bradée, mes enfants placés dans des familles d’accueil, mon épouse incarcérée. Avant cette avalanche d’injustices, à l’époque où nous croyions que de telles catastrophes n’arrivaient que dans les films ! Avant, autrement dit, à l’époque où, comme tous les citoyens on ne croit pas à de telles erreurs judiciaires, et où on pense que cela n’arrive qu’aux autres.
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Vendredi. La bibliothèque est ouverte et je descends choisir Le Château de ma mère. Où Marcel Pagnol explique qu’« il y a une chose qui ne changera jamais, c’est l’amour des enfants pour leur mère » et qu’il a « écrit ce livre pour apprendre aux petites filles comment leurs fils les aimeront un jour ». En lisant ces phrases, le décès de maman remonte à la surface et me déchire le cœur.
Un peu avant midi, la collaboratrice de maître Delarue reprend avec moi les éléments du dossier sans m’apprendre quoi que ce soit de nouveau. On m’avertit aussi que mon transfert ne se fera pas ce jour, donc qu’il est inutile de m’angoisser, qu’une place dans un service spécialisé de la maison d’arrêt d’Amiens m’a été réservée. Des bonnes paroles qui me stressent complètement : combien c’est facile, en effet, de dire
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