Chronique de mon erreur judiciaire
infirmier chaleureux qui veut me convaincre de garder patience et courage, le docteur Molto qui sait se montrer compréhensif même si je reste tourmenté par l’idée qu’il faut laver mon honneur, que la lumière doit être faite pour parvenir à retrouver ma fierté. Attendre, jusqu’au grand jour.
Et puis, à force d’attendre, à force de repousser l’échéance, d’être pris par la routine, d’être « remonté » par la puissance des médicaments, on prend conscience que l’obsession de sa propre mort ne hante plus autant son cerveau. Qu’une nouvelle énergie vous retient un peu à la vie. Surtout quand, en plus, quelques signaux vous font penser que la malchance n’est pas votre seule compagne. Ainsi, un jour, alors que je reviens dans ma chambre, j’ai la surprise de retrouver ma montre, jadis disparue. Christian, mon présumé voleur, me jure qu’elle était cachée bizarrement sous mon lit et affirme n’y être pour rien. Je ne le crois pas mais qu’importe.
La posologie médicamenteuse me transforme en loque passant de la table au lit et vice et versa, ectoplasme shooté aux substances chimiques, mais qui ont un mérite : grâce à elles, je songe de moins en moins au suicide. Mieux, mon appétit revient. À tel point qu’il m’arrive de faire le tour des tables du réfectoire pour trouver quelqu’un ne voulant pas de son pain au lait, de son beurre ou de sa confiture. Résultat, je ne tarde pas à reprendre du poids. Au 15 mars, me voici remonté aux alentours de quatre-vingt-dix kilos ! Avec mes surplus de confiserie, je peux même envoyer un colis aux enfants, grâce à une aide-soignante et un copain ayant eu le courage et la gentillesse de le sortir et d’aller le poster. Je redeviens en outre sociable, acceptant parfois de regarder les autres patients s’activer à des jeux de société, même si régulièrement la colère gronde et renverse les cartes ou les plateaux de Monopoly. Des comportements irascibles qui me bouleversent. En les constatant je suis ramené à la réalité : je suis chez les « fous » !
Oscillant entre des pensées positives et des envies morbides, je vis en fait sur le fil du rasoir. Et la lucidité qui m’étreint quand je songe à ma présence en ces lieux n’arrange pas les choses. Le personnel a beau se montrer dévoué, devoir côtoyer des patients aliénés me rappelle que je n’ai rien à faire ici, que si j’y suis c’est à cause d’une injustice. Savoir qu’il existe des animations ergothérapiques, des cours de dessin, de peinture, des activités extérieures comme la piscine, le cheval, le travail en atelier, la promenade dans le parc ou même en ville ne me dispense pas de songer à l’incongruité de ma présence dans cet établissement. Une aberration qui m’explose au visage lors des karaokés, activité chantante qui amuse les invités des mariages et des communions mais qui prend, là, une coloration différente tant les malades vocifèrent, hurlent, sautillent, en essayant à grand-peine de lire les paroles. Une aberration qui me porte sur les nerfs le soir où, regagnant ma chambre, je trouve quelqu’un dans mon lit, un patient sous camisole chimique qui s’est trompé de chambre, ce qui m’oblige à déménager en pleine nuit.
*
À toute chose malheur est bon, affirme un dicton caricatural. Au moins, dans cette dernière péripétie, il n’est pas faux. Car la nouvelle chambre où l’on m’installe me convient. Son atout majeur ? J’y suis seul. Et là, sans crainte d’être dérangé ou jugé, je peux laisser libre cours à mes pensées, entonner des cantiques de messe ou des chansons populaires telles Le Déserteur, Le Galérien, des succès d’Adamo, de Michel Sardou ou de Georges Moustaki.
Un recueillement interrompu un jour par l’arrivée d’un compagnon de chambre prénommé Jérôme. Il a le look « skin », écoute beaucoup de musique, ou plutôt du bruit, et je m’entends si bien avec lui que je m’abstiens de communiquer. Après lui survient Julien, dont c’est le premier séjour. Plutôt perdu, très jeune, ce garçon est gentil mais bizarre. Ainsi, il me réveille toutes les heures pour aller déjeuner et le soir, quand par inadvertance je m’endors avant 22 heures, il me secoue pour que j’aille prendre… mes somnifères ! De mon côté, je l’aide dans sa correspondance avec ses parents. Il sera remplacé par Martial, qui ne restera qu’une seule journée.
Jérôme,
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