Conspirata
plus pour œuvrer, César ! s’écria-t-il
avec une telle rage qu’il en avait la bave aux lèvres. Tu as étalé ton
artillerie au grand jour, et son rôle est de s’emparer de l’État !
César se contenta de répondre par un sourire. Quant à
Cicéron, il hésitait. Il pensait, comme Catulus, que César était tellement
dévoré par son ambition que celle-ci pourrait un jour devenir une menace pour
la république.
— Et pourtant, me confia-t-il un jour, quand je
remarque avec quel soin il est coiffé et quand je le vois rajuster sa raie d’un
geste du doigt, je n’arrive pas à croire qu’il pourrait concevoir un projet
aussi pervers que celui de détruire la constitution romaine.
Se répétant que César devait à présent avoir obtenu la
majeure partie de ce qu’il voulait, et que le reste – préture,
consulat, commandement d’une armée – viendrait en son temps, Cicéron
décida que le moment était venu pour lui de tenter de l’assimiler à la
direction du sénat. Il trouvait par exemple inconvenant que le chef de la
religion d’État soit contraint d’agiter la tête durant les débats pour tenter d’attirer
l’attention du consul. Il résolut donc d’appeler César dès le début, juste
après les prétoriens. Mais cette attitude de conciliation le confronta aussitôt
à un nouvel embarras politique – qui montrait d’ailleurs toute l’étendue
de l’habileté de César. Voici comment cela se déroula.
Juste après l’élection de César – tout au plus
dans les trois ou quatre jours qui suivirent –, le sénat siégeait avec
Cicéron sur la chaise curule quand un cri retentit de l’autre côté de la salle.
Une étrange apparition se fraya un chemin dans la foule des spectateurs
rassemblés à la porte de la curie. L’homme avait les cheveux emmêlés et
couverts de poussière. Il avait enfilé à la hâte une toge bordée de pourpre qui
ne dissimulait pas complètement l’uniforme militaire qu’il portait en dessous.
Au lieu des bottines de cuir rouge, il avait aux pieds de grosses bottes de
soldat. Il remonta l’allée centrale, et celui qui parlait s’interrompit au
milieu d’une phrase tandis que tous les yeux se tournaient vers l’intrus. Les
licteurs, qui se tenaient près de moi, juste derrière la chaise de Cicéron, s’avancèrent
précipitamment pour protéger le consul. Mais alors, Metellus Celer jeta depuis
le banc des prétoriens :
— Arrêtez ! Vous ne voyez pas ? C’est mon
frère !
Et il s’élança pour le serrer dans ses bras.
Un grand murmure d’étonnement, puis d’inquiétude, parcourut
alors l’assistance car tous savaient que le jeune frère de Celer, Quintus
Caecilius Metellus Nepos, était l’un des légats de Pompée dans la guerre contre
le roi Mithridate. Son apparition théâtrale et échevelée, alors qu’il arrivait
visiblement tout juste du champ de bataille, faisait soudain craindre un
terrible désastre pour nos légions.
— Nepos ! s’écria Cicéron. Qu’est-ce que cela
signifie ? Parle !
Nepos se dégagea de l’étreinte de son frère. C’était un homme
hautain, très fier de son beau visage et de son corps musclé. (On dit qu’il
préférait coucher avec les hommes plutôt qu’avec les femmes, et il est certain
qu’il ne s’est jamais marié et n’a pas eu de descendance ; mais ce ne sont
que des ragots et je ne devrais pas les répéter.) Il rejeta ses splendides
épaules en arrière et se tourna vers l’assemblée.
— J’arrive tout droit du camp de Pompée le Grand en
Arabie ! clama-t-il. J’ai pris les navires les plus rapides et les chevaux
les plus vifs pour vous apporter de grandes et heureuses nouvelles. Le tyran et
ennemi juré du peuple romain, Mithridate Eupator, est mort dans sa
soixante-huitième année. Nous avons remporté la guerre d’Orient !
S’ensuivit un de ces silences figés qui succèdent toujours
aux nouvelles théâtrales, puis le sénat tout entier se leva dans un tonnerre d’applaudissements.
Rome se battait contre Mithridate depuis maintenant un quart de siècle.
Certains prétendent qu’il massacra quatre-vingt mille citoyens romains en Asie ;
d’autres parlent de cent cinquante mille hommes. Quoi qu’il en soit, c’était
une figure d’épouvante. D’aussi loin que je me souvienne, les mères romaines se
sont servies du nom de Mithridate pour effrayer les enfants pas sages. Et voilà
qu’il n’était plus ! Et la gloire en revenait à
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