Crucifère
Faites-moi mander si vous avez besoin de quoi que ce soit.
— Comment allez-vous ? leur demanda Massada, avant de s’exclamer à nouveau : Quel prodige ! Quel miracle !
Cassiopée, qui ne voyait pas ce que sa visite avait de si prodigieux, trouvait en revanche miraculeuse la guérison de Massada :
— Comment va votre lèpre ?
— Je suis guéri ! Grâce à Morgennes !
— Je vois que vous avez changé d’habits, remarqua Simon.
Sans l’écouter, Massada continua :
— C’est un saint ! un thaumaturge ! Grâce à lui je suis un nouvel homme. Morgennes m’a transformé, révélé à moi-même.
Il bredouillait, ne trouvant plus ses mots.
— Venez, dit-il enfin. Allons dans ma cellule.
Il leur fit traverser une longue salle décorée de vitraux, où des malades étaient allongés sur des paillasses posées à même les dalles du sol. Une odeur de mort émanait de leurs corps pourrissants – corps privés pour la plupart d’un ou deux membres, de trois ou quatre dans certains cas.
— C’est ici que nous soignons nos malades, chuchota Massada. Ne faites pas de bruit…
De mauvaises toux se répondaient en écho, avec çà et là quelques lamentations. Un torse se dressa, darda une moitié de coude et réclama à boire.
Massada se dépêcha d’aller lui verser un peu d’eau dans un bol et l’aida à l’avaler. Le malade en répandit la moitié sur son drap, puis retomba dans un sommeil comateux agité de cauchemars. L’ancien trafiquant de reliques eut alors un geste qui stupéfia Simon et Cassiopée : il embrassa le lépreux sur le front.
— Venez, leur dit-il.
Sans mot dire, Simon et Cassiopée le suivirent dans sa cellule.
Celle-ci se composait de quatre murs blanchis à la chaux, d’une paillasse identique à celles des malades, d’un seau et d’un petit coffre. Une croix était accrochée à un mur. C’était tout. Point de fenêtre pour laisser entrer la lumière du jour, point de tabouret ni de table.
— Il faut m’excuser. Je reçois si peu, dit-il en posant sa lanterne par terre.
Cassiopée le trouvait si différent de l’égoïste et gras Massada qu’elle avait connu autrefois qu’elle se demandait s’il ne fallait pas le prendre au pied de la lettre quand il disait que Morgennes l’avait transformé.
— Ne doutez pas, lui dit Massada comme s’il l’avait entendue penser. Je suis effectivement un autre homme, mais j’ai gardé la mémoire de mon prédécesseur, fit-il en se tapotant le crâne. Du Massada que vous avez connu, j’ai consent les dettes et le savoir. Et perdu la maladie.
— À force d’embrasser tous vos malades, vous finirez par la retrouver, dit Simon.
— Peut-être que oui, peut-être que non. Ce qui est certain, c’est que ces malheureux ont besoin qu’on les aime.
Cassiopée eut un sourire. Elle se rappelait les mille et une breloques qu’elle lui avait jadis achetées, et qu’il lui avait vendues comme autant d’authentiques reliques. À sa façon, Massada œuvrait toujours dans le domaine du miraculeux. La seule différence, c’était qu’au lieu de vendre il offrait. Et, curieusement, cette fois les miracles avaient lieu.
— Je suppose que vous n’êtes pas revenue à Jérusalem pour le seul plaisir de parler avec moi, dit le petit homme. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
— Nous sommes là pour Morgennes, expliqua Cassiopée.
— Hélas…, fit Massada.
— Je veux retrouver son corps, et lui offrir une sépulture.
Massada prit un air embêté :
— Très chère Cassiopée…
— C’était mon père !
— Ah ! Alors, ça explique bien des choses. Malheureusement…
— Vous n’allez pas me dire vous aussi que son sort est mérité, ou qu’il n’est peut-être pas en Enfer, ou qu’il est impossible de l’en sortir, ou qu’on ne doit pas défier les dieux…
— Non, non, rien de tout cela, c’est juste que…
Il se tordit les mains, croisa et décroisa les doigts avant d’avouer :
— Je rêve de lui chaque nuit.
Il prit une profonde inspiration. Ses yeux étaient incandescents, veinés de rouge.
— Est-ce lui ou son fantôme ? Je ne saurais le dire. Je le vois, flottant dans une eau noire… Il cherche à me parler. Je tends l’oreille, mais j’ai du mal à l’entendre. Il me parle de si loin. Alors j’essaie de m’approcher, mais j’ai du mal à avancer. Comme si j’étais prisonnier de la vase. Tout ce que j’entends, c’est qu’il crie :
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