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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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m’apparaissait.
    Je la trouvais souvent délicieuse à regarder et il me semblait qu’elle l’était aussi pour beaucoup d’autres, je le voyais parfois dans les yeux des passants, des marchands, des amis, et, bien sûr, de Kolia. J’aimais ses traits fins, légers, comme fondus… je ne trouve pas d’autre mot… sous sa peau dorée, rosée, douce et soyeuse au toucher, plus soyeuse que la soie, plus tiède et tendre que les plumes d’un oiselet, que son duvet… La courbe que formait sa paupière légèrement bombée avec sa pommette assez haute avait cette pureté, cet air de candeur qu’elle a parfois chez les enfants. Ses yeux, de la même couleur mordorée que ses cheveux lisses et soyeux, n’étaient pas grands et leur forme était un petit peu inégale… quand quelque chose l’étonnait, un de ses sourcils, je crois que c’était le sourcil gauche, se relevait plus haut que l’autre, il ressemblait à un accent circonflexe. Son regard était assez étrange… fermé et dur parfois et parfois vif, naïf… Souvent comme absent…
    —  C’était peut-être sa mauvaise vue…  
    —  Mais non, il y avait bien chez elle cette absence qui la rendait par moments inaccessible à tous… même à Kolia… et il s’en agaçait… « À quoi penses-tu ? Tu n’écoutes pas… »
    En tout cas, il m’apparaît maintenant clairement que je ne m’étais jamais demandé si maman était belle. Et je ne sais toujours pas ce qui m’a poussée ce jour-là à m’emparer de ce « Elle est belle » qui adhérait si parfaitement à cette poupée de coiffeur, qui semblait être fait pour elle, et à le transporter, à essayer de le faire tenir aussi sur la tête de maman. Je n’ai d’ailleurs gardé aucun souvenir de cette opération que j’ai pourtant dû accomplir… seul m’est resté le malaise, la légère douleur qui l’a accompagnée et sa phase ultime, son aboutissement quand j’ai vu… comment ne pas le voir ?… c’est évident, c’est certain, c’est ainsi : Elle est plus belle que maman.
    Maintenant que c’est en moi, il n’est pas question que je le lui cache, je ne peux pas à ce point m’écarter d’elle, me fermer, m’enfermer seule avec ça, je ne peux pas le porter à moi seule, c’est à elle, c’est à nous deux que ça appartient… si je le garde, comprimé en moi, ça deviendra plus gros, plus lourd, ça appuiera de plus en plus fort, je dois absolument m’ouvrir à elle, je vais le lui montrer… comme je lui montre une écorchure, une écharde, une bosse… Regarde, maman, ce que j’ai là, ce que je me suis fait… « Je trouve qu’elle est plus belle que toi »… et elle va se pencher, souffler dessus, tapoter, ce n’est rien du tout, voyons, comme elle extrait délicatement une épine, comme elle sort de son sac et presse contre la bosse pour l’empêcher de grossir une pièce de monnaie… « Mais oui, grosse bête, bien sûr qu’elle est plus belle que moi »… et ça ne me fera plus mal, ça disparaîtra, nous repartirons tranquillement la main dans la main…
    Mais maman lâche ma main, ou elle la tient moins fort, elle me regarde de son air mécontent et elle me dit : « Un enfant qui aime sa mère trouve que personne n’est plus beau qu’elle. »
    Je ne me rappelle pas comment nous sommes revenues à la maison… peut-être nous taisions-nous ou peut-être même avons-nous continué à parler comme si de rien n’était. J’emportais en moi ce qu’elle y avait déposé… un paquet bien enveloppé… Ce n’est qu’une fois rentrée, quand je serai seule, que je l’ouvrirai pour voir ce qu’il contient…
    —  C’est cette habitude de ne jamais ouvrir aussitôt ce genre de paquets et d’attendre pour examiner à loisir ce qu’ils renferment qui peut expliquer ton manque de repartie, ton « esprit de l’escalier ».  
    — C’est sûr. Mais dans ce cas aucune repartie, même si j’en avais eu le don, n’aurait été possible…  
    — Il est probable qu’elle s’était mal exprimée. Ce qu’elle avait sans doute voulu dire était : Un enfant qui aime sa mère ne la compare jamais à personne.  
    — C’est ça : un enfant qui aime sa mère ne l’observe pas, il ne songe pas à la juger…  
    — Et aussi ce qui avait dû l’agacer, c’est que tu l’avais tirée d’où elle se tenait… au-dehors, au-delà, et que tu l’avais poussée parmi les autres, où l’on compare, situe, assigne des places…

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