Et Dieu donnera la victoire
incontinence, il la troussait ou la battait selon son humeur. Sa terre, sa vigne surtout lui manquaient.
Jeannette ne se plaisait guère dans ses nouvelles fonctions : tous ces hommes qui la reluquaient, lui adressaient des oeillades et des invites salaces, passaient parfois leurs grosses mains sous ses jupes, lui faisaient horreur.
– Tiens-leur la dragée haute, ma fille ! lui conseillait la Rousse. Ils doivent apprendre que ma maison n’est pas un bordel !
C’est ce qu’elle disait. En vérité, pour ce qui était des autres servantes, plus âgées que la nouvelle, elle fermait les yeux : en dehors de leur service elles agissaient à leur guise et, lorsque la patronne ne veillait pas sur elles, ne refusaient pas de montrer aux clients, pour quelques deniers, leur orient et leur occident.
Lorsque Jeannette quittait son service, c’était dans l’intention de se retrouver seule : elle allait flâner autour du moutier, prier dans les églises, s’agenouiller à une croix de pierre au milieu d’un carrefour.
Depuis qu’elle avait quitté Domrémy, pas une seule fois ses frères du Paradis n’avaient daigné lui faire signe. Il est vrai que le service pénible et trivial qu’elle assumait ne lui permettait pas d’observer le jeûne favorable à ses visions. Le curé n’était plus là pour accueillir ses confessions et les religieux de Neufchâteau étaient assaillis.
Un soir qu’elle longeait le mur du moutier, elle avait assisté à un spectacle qui l’avait divertie : un jeune moine, sûrement un novice, assis sur une drôle de machine à pédales, faisait remonter du puits l’eau destinée à arroser les parterres et le potager. Il lui avait fait un signe pour indiquer qu’il avait chaud et qu’il peinait : elle lui avait souri. Le lendemain, ils avaient fait connaissance en se parlant par-dessus le mur.
Un jour, subrepticement, il l’avait introduite dans la librairie du monastère et lui avait montré un manuscrit orné d’enluminures, auquel il avait travaillé. Elle avait pointé l’index sur une image en étouffant un cri : c’était saint Michel, elle le reconnaissait ! Elle n’osa lui demander de déchirer la page pour la lui donner, ni lui confier l’origine de la dévotion qu’elle vouait à ce saint et leurs mystérieuses rencontres.
– C’est moi qui l’ai dessiné et peint, dit le novice.
Il ajouta, en prenant congé d’elle :
– Reviens demain à la même heure : j’aurai une surprise pour toi.
La surprise, c’était une parcelle de velin large comme la main sur laquelle il avait peint l’image du saint, avec des pépites d’étoiles, une encre très noire pour figurer le démon et de l’or pour les cheveux.
– Pour toi, Jeannette, dit-il. Continue à vénérer ce saint qui est aussi mon favori. Ne parle jamais de notre rencontre et de ce cadeau que je te fais, car je serais renvoyé dans ma famille si l’abbé apprenait tout cela. En revanche, n’oublie pas le novice du moutier de Neufchâteau qui aurait bien aimé devenir ton ami.
Jeannette devait faire peu après, avant la presse de la matinée à l’auberge, une nouvelle rencontre.
Elle vit entrer son père en compagnie d’un jeune homme mis comme un bourgeois, l’air dédaigneux. Ils s’assirent devant une chope de bière. L’inconnu posa sur la table son petit chapeau de martre qui lui donnait l’apparence d’un juriste.
– Jeannette, dit le père, approche et assieds-toi.
– Grands dieux, non, protesta Jeannette. La patronne nous l’interdit.
– Et moi je te dis de t’asseoir et de m’écouter. Voici maître Thierry, procureur à Toul. Il est de très bonne famille et jouit d’une situation des plus enviables. Alors, voilà : maître Thierry a pensé te prendre pour femme. J’en ai parlé à ta mère et à tes frères : ils sont d’accord. Et toi, qu’en penses-tu ?
Jeanne se leva, se signa, recula comme une génisse sous un coup de merlin.
– Pas de simagrées avec moi ! s’écria Jacques. Il est grand temps de te marier. Nous t’avons trouvé un parti très honorable. Tu vas y réfléchir, mais je te préviens, si tu fais des manières, je te renie !
Maître Thierry intervint doucettement : il ne fallait pas brusquer cette enfant ; il était bon qu’elle se fît à cette proposition, qu’on lui laissât le temps de réfléchir.
– Je saurai me montrer patient, mais puis-je espérer, Jeannette, que vous m’accepterez comme époux ?
– Pardonnez-moi,
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