Et Dieu donnera la victoire
:
– Je suis Colet de Vienne. Je fais la navette pour le courrier entre le dauphin Charles et le capitaine de Vaucouleurs. Je suis arrivé dans la nuit avec des consignes vous concernant. Je dois vous conduire à Chinon. Monseigneur le dauphin vous y attend.
Jeannette se laissa tomber sur un tabouret, bouche bée, incapable de proférer le moindre mot.
– Je ne comprends pas votre émotion, ajouta Colet. Votre intention était bien d’avoir un entretien avec lui ?
Poulengy, souriant dans sa barbe blonde, attira Jeannette vers l’embrasure d’une fenêtre et lui dit :
– Mon maître m’a chargé d’éclairer ta lanterne. Tu te souviens de ta première entrevue avec lui, et avec quelle rage il t’a envoyée dans les ronces. Il a changé d’avis sur ton compte après un entretien avec la reine de Sicile que son fils, René d’Anjou, avait tenue au courant de ta visite au duc Charles de Lorraine. Il n’a pas été facile de le convaincre que cette histoire de voix, d’apparitions, de mission, ne relevait pas de ton imagination. Je ne suis pas persuadé qu’il soit tout à fait convaincu, mais il est décidé à t’aider.
– Comment pourrais-je oublier sa première réaction ? dit Jeannette. Et la deuxième fut pire.
– Il te mettait à l’épreuve.
– N’empêche ! Si j’avais cédé, je ne serais plus vierge aujourd’hui et je serais sa concubine. Dieu m’en a gardé.
– Ce n’était pas son intention. Il est fidèle à son épouse. Là encore, il s’agissait d’une épreuve. Il a bien manoeuvré et tu t’en es tirée avec honneur, ce qui lui a été sensible.
Jeannette se sentit fondre de confusion et de bonheur. Alors que la nuit se refermait sur elle, que ses projets sombraient lamentablement, qu’elle envisageait de se soumettre à la volonté de son père et d’épouser le procureur, une porte s’ouvrait sur des perspectives radieuses.
– S’il te plaît, poursuivit Poulengy, renonce à te faire appeler Jeannette : cela convient mal au sérieux de la mission qui t’attend. Dorénavant, tu t’appelleras Jeanne.
– Quand partons-nous ? dit-elle avec feu. Ce soir ? Demain ?
Poulengy éclata de rire.
– Comme tu y vas ! Une telle expédition ne s’improvise pas. Pour commencer, tu vas apprendre à chevaucher.
Elle protesta : à six ans, déjà, elle montait la jument pour mener le bétail à l’abreuvoir. Poulengy esquissa un sourire.
– Tes promenades à l’abreuvoir et à Nancy, c’étaient des jeux d’enfant. Nous allons devoir chevaucher durant cent cinquante lieues, de jour et surtout de nuit. Au bout de trois jours, tu auras l’arrière-train en compote et les reins moulus. Je t’apprendrai, avant notre départ, à tenir correctement ton assiette, à piquer un galop, à faire des voltes, autant de choses que tu ne sais pas faire.
– Sache, Bertrand, que, si cela avait été nécessaire, je serais partie à pied, quitte à m’user les jambes jusqu’aux genoux.
Elle se laissa tomber sur un banc et, les coudes sur la table, se mit à pleurer. Les deux hommes échangèrent un regard perplexe. Elle hoqueta :
– Pardonnez-moi, mes amis. Si je pleure, c’est en songeant à mes parents, à mes compagnes, à mon village. Je les aime et ne les verrai peut-être plus, car mes jours sont comptés.
– Que dis-tu là ? demanda Colet de Vienne. Quelle est cette sottise ? Comment sais-tu que ?...
– Je le sais, dit-elle en essuyant ses larmes et en se levant. Je le sais de par Dieu et mes frères du Paradis...
Orléans, 1428-1429
Pour les gens d’Orléans, l’affaire ne se présentait pas sous un jour favorable.
Un matin d’octobre, accompagné de Jacques Boucher et de M. de Gaucourt, Dunois inspecta le camp des Anglais du haut des remparts et sentit son coeur se serrer : à l’emplacement des faubourgs, les soldats progressaient dans l’édification de leurs retranchements ; déjà, vers l’occident, les structures des bastilles sortaient de terre, reliées par des boulevards empierrés et entourées de profondes tranchées.
– C’est fort impressionnant, dit Gaucourt, mais, à tout prendre, ce système défensif a d’énormes défauts : il laisse la ville libre d’accès du côté de la Beauce, au nord ; ensuite, ces ouvrages sont trop distants les uns des autres et, en cas d’attaque, seraient vite isolés. De combien d’hommes dispose Salisbury ?
– De six mille environ, répondit Dunois, mais il va sûrement recevoir des Bourguignons
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