Et Dieu donnera la victoire
Robert de Baudricourt, qui hocha la tête.
– Rien à reprendre, dit-il. On s’y tromperait. Il te faudra une armure. On avisera lorsque tu seras arrivée à Chinon.
Stupéfaits, les hommes de la garnison la regardèrent traverser la cour. Certains l’apostrophèrent gaillardement quand ils la virent monter en selle.
– Jeanne, pousse un petit galop pour voir comment tu te débrouilles !
– Jeanne, suis-moi dans le jardin, je te montrerai comment on s’y prend pour terrasser un Godon !
– Jeanne, quand tu verras le dauphin, tu lui diras qu’il peut compter sur nous !
Elle souriait, répondait sur le même ton, faisait des signes de la main. Ce petit soldat avait dans sa tenue et son allure quelque chose d’attendrissant et qui forçait le respect : Jeanne semblait porter sous le chaperon qui bâillait sur sa nuque rasée tous les espoirs du monde.
La selle de combat ne lui convenait pas : trop raide, une croupière trop épaisse et pas suffisamment haute. Le palefrenier du capitaine lui trouva une selle de voyage intermédiaire entre le harnais de guerre et le bât ; cela lui allait parfaitement et Almanzor ne parut pas s’en plaindre.
Une nouvelle rapportée par l’aubergiste l’affligea : le sire de Bourlemont, ce personnage falot qu’elle avait rencontré un jour du printemps passé dans le Bois-Chenu, venait de rendre l’âme. Elle se souvint avoir annoncé à Hauviette que sa mort était proche. Ce phénomène de prémonition l’intrigua ; ce n’était pas la première fois qu’elle devinait dans le futur certains événements qui ne tardaient pas à se produire, comme si elle-même en avait décidé.
Une angoisse venait de temps à autre la hanter : une obsession récurrente qu’elle repoussait mais qui revenait inexorablement, une voix intérieure qui répétait : « Jeanne, il faut te hâter car tu ne dureras guère... »
Laxart lui rapporta des nouvelles de Domrémy : elle en fut accablée.
Apprenant que Jeanne renonçait au parti qu’il lui proposait, le père était entré dans une colère brutale : il avait empoigné le pauvre Laxart au collet, l’avait accusé d’être complice de cet acte de désobéissance. Averti de l’échec de son projet, maître Thierry avait fait connaître qu’il porterait cette affaire devant le présidial de Toul.
– Nous n’allons pas en rester là ! avait menacé Jacques. Tu vas m’accompagner à Vaucouleurs. Si cette garce ose encore me tenir tête, je la jette dans la Meuse avec une pierre au cou !
Non sans mal, Laxart l’avait convaincu de renoncer à cette idée. Il voulait bien tenter une nouvelle fois de demander à Jeanne de revenir au bercail.
– J’ai parlé à ta mère de ton prochain départ, dit l’oncle. Je lui ai fait promettre de garder le secret jusqu’à ce que tu aies quitté Vaucouleurs. Te dire son chagrin... Elle m’a remis cet anneau, qu’elle a fait bénir par l’abbé Minet, en te demandant de le garder comme un porte-bonheur. La pauvre femme voulait que je t’accompagne jusqu’à Chinon. Je n’ai pas la santé suffisante pour entreprendre une telle équipée et je ne puis laisser ma femme seule au logis, dans l’attente qu’elle est d’un enfant.
Il serra Jeanne contre lui, mêla ses larmes aux siennes, lui confia quelques écus. Remontant sur sa mule en s’aidant de la borne-montoir du charron, il lui dit :
– Ma Jeannette, j’ai confiance en toi. J’ai pu douter de ta mission, mais aujourd’hui je sais que tu la mèneras à bien. Ne fais pas d’imprudence, vive comme tu l’es. Adieu, ma belle...
Elle le regarda s’éloigner à travers ses larmes, sous une pluie fine, par la prairie morne comme une ravière sous l’orage.
Colet de Vienne s’impatientait. La date du départ approchait et il craignait d’arriver en retard pour le rendez-vous de Chinon. Encore quatre jours... Encore trois jours... Il tournait en rond comme un ours en cage. Jeanne, elle-même mourant d’impatience, le harcelait :
– Qu’est-ce qui nous empêche de partir aujourd’hui ? Le temps presse : les gens d’Orléans viennent de subir une lourde défaite.
– Que dis-tu là ? Quelle est encore cette fable ?
– Ce n’est pas une fable. Je l’ai appris par mes Conseils. Si tu en es d’accord, nous partirons demain, à l’aube.
Il demanda à réfléchir. Après tout, rien ne les forçait à respecter une date qui avait été fixée arbitrairement. Les préparatifs étaient terminés,
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