Et Dieu donnera la victoire
main sur sa poitrine ; elle lui avait posé sur le cou la dague qu’elle tenait toujours à sa portée. Depuis, il se tenait tranquille.
Lorsque l’escorte passait à proximité d’une chapelle ou d’une église de village, Jeanne demandait à Colet la permission d’aller s’y recueillir ; il ne pouvait lui refuser cette faveur mais la faisait accompagner par l’un des servants. Comme elle supportait mal de garder sur elle, nuit et jour, des vêtements qui sentaient la sueur et l’humidité, elle profitait de la proximité d’une rivière ou d’un étang pour se livrer à l’écart à sa toilette.
Le plus difficile était de franchir les rivières. Richard était envoyé en reconnaissance et, comme les ponts étaient rares et sévèrement gardés, il fallait trouver un gué où les montures avaient souvent de l’eau jusqu’à la pointe de l’épaule.
Une nuit, alors qu’elle était lasse et s’efforçait de vaincre le sommeil, Jeanne vida les arçons en poussant un cri et se luxa le bras. Il fallut interrompre la marche, appliquer un baume sur la chair meurtrie, faire observer à la blessée un repos de quelques heures. Les loups qui suivaient l’escorte se regroupèrent à travers l’ombre, prêts à attaquer. Il fallut faire un feu pour les disperser en les menaçant avec des brandons afin qu’ils gardent leurs distances.
– Nous allons devoir rattraper le temps perdu, décréta Colet. Dorénavant, nous voyagerons une partie de la journée. Nous devrons aussi nous réapprovisionner en pain et en viande. Nous ferons halte dans le premier village que nous trouverons.
Richard, accompagné des deux servants, se chargea des emplettes. Ils revinrent avec des miches enfilées à leurs lances, des grappes de viande séchée et de lard à la ceinture, des gourdes pleines de vin. On serait tranquille pour quelques jours.
On avait installé le campement dans les parages d’Auxerre lorsque Jeanne dit à Colet :
– Je dois me rendre en ville. Il y a des jours que je n’ai pas prié dans une église. Laissez-moi y aller seule. Je me débrouillerai.
– Jamais de la vie ! s’écria Colet. Quelle est cette lubie ? Tu n’as pas besoin d’une église pour tes prières. Tu pries matin et soir, même à cheval.
Elle mit tant d’insistance dans sa requête qu’il finit par céder, en exigeant qu’elle se fît accompagner par les deux servants, les frères de Honnecourt. Ils franchirent les portes sans incident, croisèrent des patrouilles bourguignonnes qui ne les regardèrent même pas.
Jeanne resta une heure en oraison devant une effigie de saint Michel et ressortit du sanctuaire le visage radieux, comme si elle venait de communier, toute trace de fatigue ayant disparu de son visage et de sa démarche.
On avait effectué à peu près la moitié du chemin, et saint Michel l’avait rassurée : elle arriverait sans encombre à Chinon.
L’escorte subit pourtant une alerte sérieuse dans une lande marécageuse des environs de Romorantin.
Alors que l’un des frères de Honnecourt achevait le dernier tour de garde, il vit deux hommes s’avancer vers eux dans le brouillard du matin, avec deux faisans à leur ceinture et l’arc en bandoulière. Il éveilla ses compagnons.
– Impossible de les éviter, dit Colet. Ils ont dû apercevoir la fumée de notre feu.
Lorsque les deux chasseurs furent à quelques pas, on ne perdit pas de temps en salutations. Richard les maîtrisa. Colet les fit attacher à un arbre. Après les avoir délestés de leurs prises, il leur dit :
– Je crois que vous êtes de bons bougres, mais j’ai appris à me méfier des apparences et à prendre mes précautions. Celle-ci était nécessaire. Le village n’est pas loin et, si vous donnez de la voix, on ne tardera pas à venir vous délivrer. Attendez que nous ayons mis de la distance entre nous. Merci pour le gibier...
L’escorte n’était plus qu’à quelques jours de Chinon où l’on arriverait en passant au large de Loches.
Jour après jour, la mine de Jeanne changeait : sur les chemins de la nuit on la surprenait à chanter, à danser lors des haltes, à rire et à plaisanter. Elle se livrait même à des facéties que Colet jugeait saugrenues, comme le jour où elle les éveilla en criant : « Alerte aux Anglais ! » et cet autre où elle se cacha pour s’amuser à les voir la rechercher à travers la forêt.
– Commet fais-tu, lui dit Poulengy, pour garder cette fraîcheur et cette belle
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