Et Dieu donnera la victoire
resterais seul face à vos adversaires, afin de sauver votre honneur...
– ... et de préparer l’avènement de votre cousin Philippe. Il ne cache guère son ambition de devenir roi de France et trouverait en vous un ministre tout dévoué.
Les rapports du dauphin avec son grand chambellan tournaient à un conflit larvé depuis l’éviction de Richemont. Le connétable n’avait pas perdu l’espoir de revenir à la cour la tête haute et d’y exercer de nouveau ses fonctions, mais il trouvait en travers de sa route un ministre bien décidé à lui interdire cette ambition, d’autant qu’il avait tout à redouter de la vindicte du sanglier de Bretagne. Il n’avait pas oublié le sort réservé à Pierre de Giac et à Le Camus de Beaulieu, et ne tenait pas à finir ses jours au fond d’une rivière, une pierre au cou.
Charles en était bien conscient : si l’on s’en trouvait à ce point, au bord du gouffre, la faute en était principalement dans la haine que le ministre vouait à son connétable : Richemont présent à Orléans, on n’eût pas subi cette humiliante Journée des Harengs.
Richemont, se demandait le dauphin, où peut-il être ? Il n’avait pas donné signe de vie. On savait qu’il occupait son temps à une guerre d’escarmouches, en Poitou, contre des mercenaires à la solde de La Trémoille.
Un matin, à l’issue d’un Conseil, La Trémoille demanda au dauphin si l’on avait des nouvelles de cette pucelle, naguère servante d’auberge, qui se prétendait inspirée par le ciel. On n’en avait pas ; tout ce que l’on savait, c’est que son escorte avait quitté Vaucouleurs et qu’elle était en route.
– Je m’en voudrais de détruire vos illusions, monseigneur, ajouta La Trémoille, mais l’on se gausse de cette affaire. Une pucelle qui n’est jamais sortie de son village, qui ne connaît, dit-on, ni A ni B...
– Permettez-moi, Georges, de vous rappeler la prédiction de Merlin : perdue par une femme, la France sera sauvée par une pucelle des marches de Lorraine... Le roi retrouvera sa couronne par les conseils d’une vierge... Cela s’accorde parfaitement à la situation que nous connaissons. La pucelle dont parle l’Enchanteur ne peut être que cette fille de Domrémy.
– Et qui est donc, selon vous, cette femme qui a perdu la France ?
Le dauphin tourna les talons sans répondre à cette question qui frisait l’insolence : nul n’ignorait qu’il pût s’agir de la reine Isabeau et du traité signé à Troyes, qui donnait le pays aux Anglais...
Entre la fortune du dauphin et celle de son grand chambellan s’était installé un système de vases communicants : tandis que le coffre du premier se vidait, le second voyait le sien se remplir à la suite de prévarications et de manoeuvres crapuleuses. Charles venait de faire engager auprès d’un usurier, par l’intermédiaire de La Trémoille, son heaume d’or. Le prêteur y avait trouvé son compte ; La Trémoille aussi.
On pouvait se moquer de cette pucelle que l’on disait un peu sorcière, Charles attendait son arrivée avec impatience, comme si elle eût été son seul recours avant la faillite de son gouvernement.
Il avait reçu la visite de celle qu’il appelait sa bonne mère, Madame Yolande : elle avait secoué son apathie à sa manière, qui n’était pas tendre. Il gardait encore en mémoire sa voix aux accents virils, roulant des rocailles aragonaises, ses gestes brefs et tranchants quand elle lui avait jeté au visage :
– Mon gendre, quand cesserez-vous de vous lamenter, de passer vos nuits à boire en compagnie de vos putains, vos journées à regarder couler la Vienne et à méditer dans votre oratoire ? Vous devriez être sur les routes, rameuter vos sujets les plus fidèles, vous porter sur Orléans !
Elle lui avait parlé de la Pucelle :
– Ceux qui la tournent en dérision devront déchanter. J’ai pris des renseignements sur elle et la suis de près : c’est une sainte fille. René, mon fils, l’a rencontrée à la cour de Lorraine et en dit le plus grand bien. Je suis persuadée que cette pucelle pourrait donner des leçons d’énergie et de courage à vos capitaines qui, eux, ne font pas de miracles, c’est le moins qu’on puisse en dire...
Elle avait ajouté :
– Prenez votre mal en patience, Charles. D’ici peu, Jeanne viendra frapper à votre porte et, de ce jour, tout sera changé.
– Comment en être si sûre, ma mère ?
Elle avait souri, mis un doigt
Weitere Kostenlose Bücher