Et Dieu donnera la victoire
sur ses lèvres et tourné les talons.
Chinon, mars 1429
L’escorte de la Pucelle entra dans Chinon par la porte Saint-Étienne, déserte en ce milieu d’après-midi. Si Colet avait souhaité une entrée triomphale, avec la foule et les ménétriers, il en fut pour ses frais. Lui, Jeanne et leurs compagnons n’avaient d’ailleurs rien des sept cavaliers de l’Apocalypse. Ils ne se firent guère remarquer, si ce n’est de quelques gosses qui leur firent un brin de conduite à travers la ville, comme pour chaque groupe de voyageurs qui s’y rendait.
Ce n’est pas vers la rampe menant au château que Colet se dirigea mais vers l’auberge des Deux-Colombes où il avait ses habitudes : elle se situait sur une grande place plantée de tilleuls, dominée par le fort Saint-Georges. Les deux soeurs qui tenaient l’établissement n’avaient de colombes que le nom : c’étaient deux jumelles fessues, mafflues, moustachues, qui se donnaient des allures de jeunesses sous leur bonnet de dentelle.
En voyant Jeanne descendre de cheval, elles firent la grimace, les poings sur les hanches.
– Qu’est-ce que tu nous amènes là, Colet ? dit l’une. Un gars ou une garce ?
– Drôle d’allure... ajouta l’autre. Avec les fesses qu’elle a ou qu’il a, ça ne peut être qu’une drôlesse déguisée ou un bardache. Aurais-tu tourné casaque ?
En apprenant qu’il s’agissait de cette pucelle dont on commençait à parler et qu’elle était attendue par le dauphin, elles changèrent de mine et de comportement, d’autant que Jeanne commençait à sentir la moutarde lui monter au nez.
Elle donna des ordres d’une voix de sergent.
– Faites porter dans ma chambre, dit-elle, un baquet et des brocs d’eau chaude. J’ai une semaine de crasse sur la peau et les reins en compote. Envoyez-moi aussi une servante pour m’étriller et me masser.
Colet cacha un sourire derrière sa main : ce ton autoritaire le surprenait et lui plaisait. Il avait craint que Jeanne, arrivée à pied d’oeuvre, ne perdît de son assurance. Il se dit qu’elle était pleine de ressources, plus qu’il ne le pensait, et qu’il apprenait à la connaître.
– Quand tu auras achevé ta toilette et que tu te seras reposée, dit-il, nous souperons. Je vais quant à moi monter au château pour prévenir de notre arrivée. Ne sors pas en ville avant que je t’y autorise : on n’est jamais assez prudent.
Lorsqu’ils s’attablèrent à la nuit tombante, Colet rendit compte de sa visite au château : il avait acquis la certitude que le dauphin avait toujours l’intention de recevoir la Pucelle. Quand ? il le ferait savoir sans tarder.
Un nuage de déception assombrit le visage de Jeanne.
– Ce n’est pas le dauphin qui t’a reçu ? Il est donc tellement occupé ? Et ça veut dire quoi : sans trop tarder ?
– Au diable si je le sais ! bougonna Colet. Prends ton mal en patience. Tu as la meilleure chambre d’auberge à plus de dix lieues à la ronde, une table réputée, deux charmantes hôtesses, des servantes à tes petits soins, dix églises où aller prier... Que veux-tu encore ? Que monseigneur le dauphin vienne te prendre par la main pour te conduire dans son cabinet ?
Elle baissa la tête sur sa soupe, demanda comment était le dauphin. Il le lui décrivit de pied en cap, sans oublier le long nez rouge, le regard fuyant, les genoux cagneux, l’air d’attendre une punition céleste...
– Tu le reconnaîtrais entre mille, d’autant que ceux qui l’entourent ressemblent à des colibris et lui à un moineau.
– J’aimerais aussi, dit Jeanne, rencontrer la dauphine Marie, le jeune Louis, Madame Yolande dont René, son fils, m’a parlé à Nancy.
Elle pourrait voir Madame Yolande, mais ni Marie ni son fils : ils venaient de quitter Chinon.
Le lendemain à l’aube, Jeanne, remise de sa fatigue et de sa déception, était sur pied avant tous les autres. Elle alla réveiller Colet qui, en ronchonnant, consentit, après avoir avalé sa soupe, à lui faire visiter les lieux saints en laissant les chevaux à l’écurie. Première étape, Saint-Maurice, au coeur de la vieille ville, où Jeanne fit une longue pause. Elle tint à observer quelques minutes de recueillement à Saint-Étienne, dans les faubourgs, puis, plus loin encore, à Sainte-Radegonde, un sanctuaire troglodytique datant des premiers âges de la chrétienté et des martyrs. Elle alla saluer les moines de Saint-Mexant et chanter avec eux le Nunc
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