Et Dieu donnera la victoire
Yolande confia sa protégée à un clerc de sa maison, Jean Ernault.
– Écrivez ! dit Jeanne. Et faites en sorte de rapporter fidèlement mes paroles. Maître Gaubert Thibaut sera témoin de votre honnêteté. Roi d’Angleterre et vous, duc de Bêtefort ...
– C’est Bedford qu’il faut écrire.
– ... duc de Bêtefort qui vous dites régent du royaume de France, et vous, William de La Poule, comte de Suffort...
– De La Pole et Suffolk, rectifia le scribe.
– ... vous, John Talbot, et vous, Thomas, lord d’Escale, qui vous dites lieutenant dudit duc de Bêtefort, faites raison au roi du Ciel, rendez à la Pucelle qui est ici envoyée de par Dieu les clés de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France...
– Plus lentement, je vous prie, dit Ernault. Je n’arrive pas à vous suivre. Les termes que vous employez ne sont-ils pas un peu trop violents ? Vous risquez...
– Je ne risque rien. Écrivez, Ernault !
Elle réclamait le départ des troupes anglaises d’Orléans, affirmait qu’en tant que chef de guerre elle les forcerait à partir, où qu’ils se trouvent, et les ferait tous occire. Elle annonça que le dauphin entrerait dans Paris en bonne compagnie . Le Roi du Ciel allait envoyer à la Pucelle des légions en armes et il y aurait un grand ahay , le plus grand qu’on ait entendu depuis mille ans.
– Voulez-vous reprendre ? dit Ernault. Un grand...
– Ahay ! C’est notre cri de guerre à nous, les gens de Domrémy. Je vais en avoir fini. Écrivez... Vous, duc de Bêtefort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous fassiez pas détruire. Si vous lui faites raison, vous pourrez venir en ma compagnie là où les Français feront le plus beau fait que oncques fut pour la Chrétienté. Et faites réponse si vous voulez faire paix en la Cité d’Orléans. Et si vous ne faites ainsi, qu’il vous souvienne bientôt de vos grands dommages .
– Mentionnerons-nous la date de cet envoi ?
– Ajoutez simplement : Écrit ce mardi, Semaine Sainte , et donnez à relire à maître Thibaut.
Le témoin lut la lettre et soupira :
– C’est une diatribe fort raide et qui fera impression. Encore faudra-t-il la mettre en forme. Certains termes, certaines tournures de phrases...
– Allez au diable avec votre grammaire ! Cette lettre sera expédiée dans l’état où elle est par la poste du dauphin. Mon langage n’est pas châtié, mais c’est celui d’un soldat et ce sont des soldats qui liront ce courrier.
7
Boulevard des Tourelles
Chinon-Tours, avril 1429
– Et maintenant, dit Jeanne, il faut partir. Nous avons perdu trop de temps.
Comme dans le livre d’heures que Madame Yolande lui a laissé feuilleter, elle imagine les gens d’Orléans tapis derrière leurs remparts, grosses fourmis noires s’abritant des flèches que leur décochent les yeomen portant la croix rouge sur leur pourpoint, avec, dans le lointain, les fusées lumineuses des tours et des clochers.
– Il faut, ajoute-t-elle, que le dauphin se décide à me confier une armée. Les gens d’Orléans m’attendent, je le sais. Si je tarde trop, ils se rendront aux Anglais.
– Patientez encore un peu, Jeanne, lui répond Madame Yolande. Il faut beaucoup de temps pour réunir une armée, trouver des subsistances, constituer le trésor de guerre qui paiera les soldes, rassembler quelques bons capitaines...
Attendre... Attendre... C’est ce qu’on lui répète. Elle a parfois l’impression que ces gens qui l’entourent aimeraient la savoir au diable ou à ses moutons, qu’ils se demandent pourquoi elle est venue troubler leur somnolence avec ses prières, ses injonctions, ses cris de guerre. La plupart semblent avoir pris leur parti de la chute d’Orléans et du déferlement des armées anglaises vers le sud. La défaite consommée, ils iront abriter le fruit de leurs rapines dans leurs domaines et, sans le moindre scrupule, composeront avec l’occupant.
– Des rats ! Ce sont tous des rats ! ronchonne la Pucelle.
Un matin, en descendant vers la Vienne avec le duc d’Alençon, elle s’est immobilisée devant la porte d’une auberge d’où sortait un chant qu’elle avait déjà entendu aux Deux-Colombes et qui lui serrait le coeur :
Français, Français, que faites-vous ?
Tout se perd et vous sommeillez !
Ne dormez plus, réveillez-vous,
Si l’ennemi veille, veillez...
– C’est la chanson de l’ancien trouvère Robert Blondel, dit le duc Jean. Je
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