Et Dieu donnera la victoire
y fit naître des frissons, passa en revue la selle et le harnais, vérifia qu’il ne manquait ni une courroie ni un bridon. Le mors était à longues branches, avec des gourmettes suffisamment lâches. Une barde de chanfrein protégeait la tête. Les étriers d’acier ouvragé portaient les armes de la maison d’Alençon et les éperons étaient d’argent.
– Je sens que ce cheval t’aime déjà, dit le duc. Ça se lit dans son regard et dans le mouvement de son encolure quand tu le caresses.
Jeanne voulut le monter sans plus attendre. Elle se donna le plaisir d’un petit trot puis d’un galop sous les saules de la berge, plus quelques voltes pour s’amuser. Pollux avait adopté sa maîtresse ; il obéissait à la main d’une manière admirable.
– Demain, dit Jean, je te ferai courir une lance. Pollux se prête volontiers à ce jeu. Si je l’avais eu à Azincourt...
La nouvelle tomba comme un pavé dans une mare aux grenouilles : les compagnies du duc de Bourgogne, qui avaient rejoint celles de Talbot, venaient de se retirer avec armes et bagages de devant Orléans.
D’accord avec les notables, le gouverneur, M. de Gaucourt, avait décidé d’entamer une négociation en vue d’une reddition honorable de la ville. Avec les Bourguignons, pas avec les Anglais. Informé de ces avances, le duc Philippe avait donné son accord sans en référer à Bedford, qui réagit avec sa vivacité coutumière : il n’avait pas battu les buissons pour que d’autres mangent les oisillons !
Un matin, postés aux remparts, les habitants, ébahis, avaient assisté au départ de trois mille soldats bourguignons. Leur joie était partagée : si ce départ affaiblissait les assiégeants, ils avaient d’autant moins de bouches à nourrir.
De l’armée de secours promise de longue date par le dauphin, pas de nouvelles. L’on avait appris qu’une vierge venue des marches de Lorraine avec l’intention de délivrer la ville était arrivée à Chinon, mais l’horizon du côté de la Sologne restait désespérément vide.
– Une pucelle ! bougonnait Dunois. Encore une de ces fables destinées à nous faire prendre notre mal en patience...
M. de Gaucourt ne croyait pas non plus à ce qu’il considérait comme de la poudre aux yeux :
– C’est une armée qu’il nous faut, pas une de ces sorcières qui se disent envoyées par le Ciel !
Maître Jacques Boyer ne partageait pas ces doutes.
– Si l’on croit fermement aux miracles, ils finissent presque toujours par arriver.
Laxart avait répondu à la première lettre que Jeanne avait adressée à sa famille par la poste du dauphin : une longue missive rédigée de sa belle écriture de moine.
Le père était entré dans une grande colère en apprenant que Jeanne, sans en avertir ses proches, sans leur faire ses adieux, avait revêtu des habits d’homme et pris la route de Chinon au milieu d’une compagnie de soudards. Il s’était un peu calmé en apprenant que le dauphin avait accueilli sa fille et s’apprêtait à lui confier une armée. Jeanne à la tête d’une armée ! Jeanne sur le point de faire la guerre ! Sa petite Jeannette ! Il croyait rêver. Plus question de lui attacher une pierre au cou pour la jeter dans la Meuse. Jeannette, une héroïne...
Zabelle avait tenu à remercier le Ciel des faveurs dont il comblait la famille : elle était allée se prosterner au pied de la Vierge noire du Puy-en-Velay. Elle avait souffert de cet interminable voyage mais ne regrettait rien. Elle avait fait la connaissance en chemin d’un moine cordelier, le frère Pasquerel, qui prenait la route de Chinon ; il avait promis, s’il la rencontrait, de donner à Jeanne des nouvelles de sa famille.
La lettre de l’oncle apportait à Jeanne d’autres nouvelles : maître Thierry avait été débouté du procès qu’il avait engagé pour promesse non tenue... Hauviette avait pleuré en apprenant le départ de Jeannette, mais, peu après, elle épousait un gars de Coussey... À la suite de pluies diluviennes, la Meuse avait envahi une partie de la vallée... La femme de Laxart avait accouché d’un beau garçon...
Le dernier événement dont Laxart faisait mention bouleversa Jeanne : Josef Birkenwald avait été tué dans un engagement avec les troupes d’Antoine de Vergy.
Bertrand de Poulengy donna lecture de cette lettre à Jeanne. Il ajouta :
– Le frère Pasquerel dont parle ton oncle vient d’arriver à Chinon. C’est un protégé de la reine
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