Et Dieu donnera la victoire
chez qui Madame Yolande la fit conduire était celui qui avait restauré l’épée de Fierbois. Il émit un sifflement admiratif en prenant les mesures : cette pucelle était bâtie comme un homme, avec une poitrine de Junon. Il se mit sans délai à forger et à écrouir l’acier. Comme on lui avait offert pour ce travail une somme modeste, il réalisa une armure exempte de fioritures milanaises et de la lourdeur allemande : c’était une armure dite « blanche ». Elle s’y trouva à l’aise, se promena en ville et dans la campagne proche, non pour se faire admirer mais pour vérifier qu’elle ne la gênait pas aux entournures et qu’elle était bien à sa taille. Sa poitrine y respirait à l’aise, car l’armurier avait vu large, et les tassettes des hanches ne gênaient pas ses mouvements.
Madame Yolande poussa la générosité jusqu’à lui faire confectionner la huque en drap de soie qu’elle enfilerait sur la cuirasse ; ouverte sur les côtés, ornée des armes de France, toute papillonnante de lambrequins, elle était très seyante. Jeanne ne se séparait pas de l’épée de Fierbois qu’elle portait fièrement à la ceinture.
– Et maintenant, dit sa protectrice, il faut penser à votre bannière, une pièce essentielle de votre équipement, votre double en quelque sorte. Je vais vous conduire à la boutique de Hamish Power, un ancien sergent de la garde écossaise de mon gendre. Vous lui direz ce que vous souhaitez y voir figurer.
Elle voulut que son étendard portât l’image du Seigneur sur Son trône de gloire, encadré par deux anges ; pour l’inscription elle choisit simplement Jésus-Maria , la formule inscrite sur l’anneau dont sa mère lui avait fait présent.
– Et maintenant, dit Madame Yolande, en route pour Blois ! C’est la dernière étape avant d’arriver à Orléans.
Blois-Orléans, avril-mai 1429
L’expédition quitta Chinon à la date prévue. Elle se composait d’une avant-garde destinée à rejoindre l’armée qui devait se rassembler à Blois et d’un convoi de chariots chargés du blé de la reine de Sicile.
Lorsque la colonne se présenta aux portes de Blois, la ville était en pleine effervescence. Environ huit mille hommes de troupe avaient élu domicile chez l’habitant, dans des établissements religieux ou dans les camps qui s’étalaient sur les deux rives du fleuve. Des capitaines aux noms prestigieux étaient déjà dans la place : le maréchal de Boussac, l’amiral de Culan, Poton de Xaintrailles, Ambroise de Loré, Gilles de Rais... Certains figuraient parmi les déserteurs d’Orléans, suite à l’humiliante Journée des Harengs : La Hire, qui jouait les bravaches avec sa huque bicolore constellée de clochettes, était revenu à de bons sentiments. M. de Gaucourt était présent lui aussi, curieux de rencontrer cette Pucelle que ses concitoyens attendaient comme le Messie.
Jean d’Alençon avait précédé Jeanne. Il voulut lui présenter son épouse, qui avait trouvé à se loger dans un hôtel noble adossé aux remparts dominant la Loire. Cette jeune femme au visage cireux émergeant d’un nuage de dentelles passait son temps, comme jadis la reine Mathilde, à faire de la tapisserie pour tromper son ennui. Elle se leva pour aller au-devant de Jeanne, l’embrassa et lui dit :
– J’ai appris que le dauphin avait confié le commandement de l’armée à vous et à mon époux. C’est un grand honneur que je partage. Cependant... cette décision m’inquiète. Je connais bien Jean : un brave garçon et un garçon brave, mais il a tendance à trop s’exposer. C’est un esprit à la fois vif et fragile. Puis-je compter sur vous pour le surveiller et faire en sorte qu’il ne s’engage pas trop ? Il a été deux fois capturé par les Anglais et nous avons dû payer de fortes rançons. Si cela lui arrivait de nouveau, la vente de nos biens ne suffirait pas et, s’il mourait, je ne lui survivrais pas.
– Je n’aurai de cesse de le surveiller, madame, dit Jeanne, mais rassurez-vous : il ne lui arrivera rien.
– Comment pouvez-vous en être si certaine ?
– Mes voix me l’ont assuré.
Deux personnages, durant les derniers préparatifs de l’expédition, tournaient autour de Jeanne et l’observaient avec insistance : le frère Pasquerel et Gilles de Rais.
Le jeune cordelier était une âme simple et naïve ; il avait, à quelques mois près, l’âge de la Pucelle. Elle s’amusait à lui faire des niches : elle lui
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