Et Dieu donnera la victoire
l’orient, on avait fait un crochet par le village de Chécy.
Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Jeanne ordonna que l’on mît les bêtes à la pâture en attendant que les gens d’Orléans eussent donné signe de vie. Elle se substituait à l’autorité de Jean d’Alençon et de Gilles de Rais, et se réservait le droit de donner des ordres. Personne ne s’en formalisait ; on se contentait de sourire.
Au milieu de l’après-midi, une barque se détacha de la rive droite et se dirigea vers l’armée stationnée sur la berge opposée.
– C’est le Bâtard ! dit d’Alençon. Je le reconnais !
Lorsque la barque se fut engravée, Jeanne s’avança vers Dunois et, avant même qu’il eût pris pied, lui lança d’un ton acerbe :
– C’est vous, Jean, le Bâtard d’Orléans ?
– Toi, répondit-il, si je ne me trompe, tu es Jeanne la Pucelle. Heureux de t’accueillir.
– Et moi, je suis fort mécontente ! Pourquoi nous avoir indiqué ce chemin alors que Talbot, Glassidas et La Poule se tiennent sur l’autre rive ?
– C’était le parti le plus sage pour que cette opération réussisse. D’Alençon et Gilles ont dû t’expliquer...
– Mes conseils sont plus sages que les vôtres, car ils viennent du Ciel. J’exige que nous passions la Loire tout de suite.
– Impossible ! lança Dunois. Le vent s’oppose à la force du courant et nous interdit de mettre à la voile. Cela peut durer des heures ou des jours, mais nous avons pu réunir des embarcations en nombre suffisant pour passer le troupeau et une partie de l’avant-garde.
– Nous n’attendrons pas ! dit Jeanne. Dieu, qui commande à notre armée, peut commander au vent.
Elle s’éloigna seule vers un taillis de saules.
– Elle va pisser ? demanda Dunois.
– Non, dit Gilles, elle va prier.
Lorsque, ayant achevé sa prière, elle revint vers le Bâtard, elle lui dit, comme si cela allait de soi :
– Nous pouvons passer la rivière à présent. Le vent a tourné. Il faut faire vite. Dieu est généreux, mais il ne faut pas Lui en demander trop.
– Ça, par exemple ! murmura Dunois en observant le mouvement des feuillages. C’est donc vrai que tu peux accomplir des miracles ?
– Je ne suis qu’un instrument, un rouage de la grande machine céleste, comme dit Madame Yolande.
Tandis que l’on déployait les voiles des chalands, que l’on poussait dans ces embarcations une première vague du troupeau dans un concert de bêlements et de meuglements, elle ajouta :
– Il n’y aura pas assez de bateaux pour embarquer la troupe.
– Une partie de cette dernière, dit Dunois, va retourner à Blois pour se porter au-devant de l’armée de secours. Vous n’avez pas amené assez d’hommes, de toute manière, pour monter une opération contre les bastilles.
Cette décision la prenait de court, mais elle devait convenir qu’elle était raisonnable. Dunois annonça qu’il allait entrer dans Orléans avec elle. Il fallait qu’elle s’attende à un accueil chaleureux. Toute la ville était en état d’alerte pour la recevoir.
Des cantiques chantés par les moines et par la troupe saluèrent le départ de Jeanne. Certains soldats agenouillés sur la berge regardaient s’éloigner sa barque et se lamentaient comme si elle ne devait jamais revenir.
– Étonnant ! dit le Bâtard. Je ne reconnais plus ces hommes. Hier des brigands et aujourd’hui des agneaux. Encore un de tes miracles, je suppose ? Leur aurais-tu communiqué la grâce qui t’habite ?
Le temps que dura la traversée du fleuve, il lui rendit compte de la situation. Difficile pour la ville, elle était dramatique pour les Anglais. Ils étaient au bout du rouleau. L’armée de secours que le régent leur avait annoncée au départ de Paris n’était pas encore rassemblée. Chaque jour, des groupes de déserteurs quittaient les bastilles pour aller chercher leur provende dans les campagnes. Les soldes n’étaient plus payées ou, lorsqu’elles l’étaient, c’est que les capitaines avaient dû en prélever le montant sur leurs propres ressources, afin d’éviter une désertion généralisée ou une mutinerie.
– Tu ne verras que peu de chevaux autour de leurs fortifications, ajouta Dunois. Ils les ont presque tous dévorés. Ils ont même perdu leur agressivité : nous allons arriver sur l’autre rive sans qu’ils tirent sur nous...
Ils entrèrent dans Orléans par la porte de Bourgogne située du côté oriental de la ville et
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