Et Dieu donnera la victoire
elle tourna le dos sans répondre. L’après-midi, loin de se décourager, elle effectua la même tentative sur le boulevard de la Belle-Croix, à la limite de la dernière arche rompue. Elle demanda à voir Glasdale qu’elle s’obstinait à appeler « Glassidas ».
Lorsque, sortant des Tourelles, le chevalier anglais eut entendu cette gamine, qui prononçait si mal son nom, lui intimer l’ordre de se rendre s’il voulait avoir la vie sauve, il éclata de rire, les mains sur sa panse. Il lui répondit avec un fort accent godon :
– De quoi te mêles-tu, sorcière, vachère, fille d’auberge, putain des Armagnacs ? Retourne à tes moutons !
Elle le pria de lui rendre son héraut, Guyenne, qu’elle lui avait envoyé deux jours avant pour lui demander de mettre bas les armes. Bafouant les lois de l’honneur chevaleresque, Glasdale n’avait pas laissé repartir le messager.
Jeanne s’accrocha à l’épaule de La Hire et gémit :
– Me traiter de putain, moi ? Et qu’ont-ils tous à vouloir que je retourne à Domrémy ? Ces brigands, ils me paieront tout d’un bloc. La Hire, de par Dieu, promets-moi que tu m’aideras à me venger de tous ces affronts !
– Je te crois capable de le faire seule, Jeanne. Il est facile de deviner que tu as fait peur à Glasdale pour qu’il te traite de sorcière et de putain. Il croit que tu lui as jeté un sort. Les prisonniers que nous avons faits nous l’ont confirmé.
Le lendemain, jour du Seigneur, Dunois décida de partir pour Blois afin de ramener dans les plus brefs délais l’armée que l’on attendait depuis des jours et qui aurait pu être arrêtée en cours de route. Pour Jeanne, ce fut une morne journée. À la cathédrale, où elle se rendit pour la grand-messe, la foule débordait sur le parvis : les habitants ne pouvaient se lasser de la voir, bien droite sur sa selle, souriante, s’arrêtant pour caresser un enfant, parler à une ménagère, jeter une obole dans la sébile d’un stropiat...
Le lendemain, surprise ! Un pêcheur lui apporta au logis de Jacques Boucher une énorme alose dont elle se régala. Au milieu de la sieste qu’elle observait en raison de la chaleur, elle s’éveilla en sursaut, bouscula Charlotte, disant qu’elle en avait assez de rester inactive, qu’on jouait avec ses nerfs, qu’elle était seule à avoir vraiment envie d’en découdre avec les Anglais... Mme Boucher eut du mal à la calmer :
– Reposez-vous, mon enfant. Demain, il faudra que vous soyez fraîche et dispose pour assister à la procession.
Une procession... Encore une ! Elle dut une nouvelle fois en prendre la tête, vêtue de sa tenue militaire, sa bannière au poing. Elle cuisait à feu doux sous sa cuirasse, sa peau la démangeait et elle se sentait la tête lourde, balayée de vagues d’angoisse, grondante d’une voix qui lui répétait que, dans quelques jours, elle verrait couler son sang.
Dans la soirée, le héraut Guyenne était de retour, l’intervention intempestive de Jeanne ayant été efficace. Il n’avait pas subi de sévices ; en revanche, on l’avait pressé de questions sur celles qu’ils appelaient « la sorcière ».
– Il ne faudra pas trop tarder à entrer en action, dit-il. Le moment est favorable : les Anglais sont aux abois. Nous attendons l’armée de Blois et eux celle de Falstaff. Il faut les gagner de vitesse. Ils m’ont chargé d’un message à ton intention. Je te le répète mot pour mot : « Tu diras à cette sorcière que nous finirons bien par la prendre et que nous la ferons brûler sur le bûcher. »
Le mercredi 4 mai, sous un ciel crépitant d’orage, l’armée de Blois parvenait en vue de la cité. Le Bâtard se tenait en tête, derrière le groupe des moines dont on entendait, entre les coups de tonnerre, retentir les chants repris par la troupe.
Jacques Boucher interrompit la sieste de Jeanne. Elle s’habilla fiévreusement pour se porter au-devant de la troupe. Il fallut que La Hire la retînt de se précipiter entre deux bastilles pour arriver plus vite. Elle tomba dans les bras du Bâtard, radieuse, alors qu’il faisait grise mine en annonçant que l’armée de Falstaff était en marche. Elle lui répondit, en lui tapant joyeusement sur l’épaule :
– Nous ne la craignons pas ! Je veux être tenue au courant de l’approche de ces brigands. Si tu oublies de m’informer, je te ferai couper la tête ! La menace vaut pour les membres de ton Conseil !
– Tu en serais bien
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