Et Dieu donnera la victoire
toi. Ils t’admirent mais avec une réserve : ta réussite les a ulcérés. Une pucelle de dix-sept ans, leur donner des leçons ! Lorsque tu auras de nouveau affaire à eux, garde bien les yeux ouverts : ces brigands sont jaloux de tes succès et pourraient bien te jouer des tours.
Il ajouta :
– Il faudra de même te méfier, et plus encore peut-être, de l’entourage du dauphin. Ses ministres, à commencer par ces deux brigands, La Trémoille et Regnault de Chartres, ont le coeur bourguignon, c’est-à-dire anglais, je ne te l’apprends pas, malgré l’histoire des oisillons. Ils voient tes succès d’un mauvais oeil. Ce n’est pas sur Charles qu’ils ont misé mais sur Henri d’Angleterre. Ils ont choisi leur camp et s’en cachent à peine. Quant au dauphin...
– Que vas-tu me dire de lui ? Il m’a soutenue... Il m’a donné une armée...
La Hire cacha un sourire derrière sa main.
– Charles s’est hâté d’envoyer des courriers à ses bonnes villes pour leur annoncer la délivrance d’Orléans, mais il ne t’attribue qu’un rôle mineur dans cette histoire. J’ai eu communication d’une de ses lettres. Eh bien, il semble vouloir te faire jouer un rôle de témoin plus que d’acteur. Je crains que le principal adversaire que tu rencontreras désormais sur ton chemin ne soit pas Bedford mais Charles. Si tu prends trop d’importance, tu diminues d’autant ses mérites. Il te le fera payer, ma belle !
– Je ne puis te croire ! protesta Jeanne. Tu écoutes trop les racontars.
– Et toi, tu es prête à avaler toutes les couleuvres. On a voulu te persuader que tu étais le chef de cette expédition, on te laissait la bride lâche pour les petites décisions, mais on t’éloignait des grandes. Tu es bien naïve, Jeanne, mais on le serait à moins.
Jeanne ne tint qu’un moment rigueur à son compagnon de ces propos iconoclastes, notamment son jugement sur le dauphin. Elle appréciait la franchise et la lucidité de ce guerrier. Elle savait que lui au moins ne la trahirait pas.
Jeanne avait reçu une lettre du dauphin lui demandant de l’attendre à Tours le vendredi de Pentecôte. Elle y resta trois jours, puis, apprenant qu’il venait de quitter Chinon, elle décida de se porter à ses devants en se faisant accompagner de d’Alençon et de Dunois. Ils cheminaient à pas lents dans le lumineux printemps des bords de Loire et décidèrent de faire halte dans les parages d’Azay-le-Rideau. Alors que Jeanne somnolait dans une prairie des bords de l’Indre, ils vinrent lui tenir compagnie.
– Je te trouve bien songeuse, Jeanne, dit Dunois. Tu attends la visite de tes frères du Paradis ?
– Je crois plutôt, ajouta d’Alençon, qu’elle est impatiente de reprendre les armes et qu’elle se morfond.
Jeanne se renversa dans l’herbe haute et éclata de rire.
– Ce gros orme sous lequel je me repose me rappelle l’arbre aux Fées du Bois-Chenu où j’avais rendez-vous avec mes voix. Si quelqu’un m’avait prédit alors que je prendrais les armes, habillée en homme, je lui aurais ri au nez.
Elle évoqua les jeux de son enfance avec ses compagnes, leurs chants, leurs danses, les tortils qu’elles confectionnaient...
– Un tortil, dit Dunois, c’est quoi ?
– Je vais te montrer...
Elle arracha des poignées d’herbe sèche, en fit une tresse qu’elle orna de feuilles, de renoncules et de marguerites. Agenouillée devant Dunois, elle lui ôta son bonnet et le remplaça par la couronne.
– Et voilà ! dit-elle. Tu es mon prince et je t’aime.
– Je vais être jaloux ! protesta d’Alençon. Il n’y aura pas de tortil pour moi ? C’est donc que tu ne m’aimes pas ?
Elle en confectionna un autre en un tournemain, le posa sur la tête de Jean, ajouta qu’on appelait aussi ces couronnes des « cordons d’amour ».
– Toi aussi, mon beau duc, je t’aime, dit-elle, bien que tu sois étourdi, sans cervelle, et que tu jures le saint nom de Dieu.
– Tu vas devoir choisir entre nous deux pour te trouver un amoureux, dit Dunois. Ou alors nous allons nous battre, là, sur le pré. Tu épouseras celui qui aura tué l’autre.
Elle répondit, d’un air faussement grave :
– Vous le savez bien : pucelle je suis et pucelle je resterai jusqu’à l’heure de ma mort, qui ne saurait tarder. D’ailleurs, vous êtes mariés tous les deux.
Ils échangèrent un regard perplexe. Ce n’était pas la première fois qu’ils entendaient Jeanne annoncer sa mort
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