Francesca la Trahison des Borgia
du pape avait beau être charmant, tous les plaisirs au monde ne changeraient rien à la hideuse réalité qui nous attendait de pied ferme au-dehors.
— Une jeune fille a été brûlée vive dans le Trastevere, cette nuit.
La Bella poussa un petit cri et me regarda d’un air blessé, comme si elle ne comprenait pas pourquoi je m’escrimais à vouloir lui faire de la peine. Il Papa, quant à lui, se contenta de secouer la tête avec lassitude.
César se leva, regarda son père et lança :
— Quiconque protège Morozzi doit assurément être puissant, pour que le prêtre agisse avec un tel aplomb.
Presque imperceptiblement, Borgia battit des cils. Le moment passa si vite que je me demandai même si je ne l’avais pas imaginé.
— Il est protégé par Il Frateschi, répliqua-t-il. Nous le savons déjà.
— Dans ce cas, l’homme que tu as infiltré au sein de la Fraternité sera en mesure de nous dire comment le joindre, rétorqua à son tour César.
Borgia tendit alors une main à sa maîtresse, qui la prit pour se lever gracieusement. Il lui sourit gentiment.
— Amore mio, lui susurra-t-il, voudrais-tu avoir la bonté d’aller préparer une carafe de cet excellent jus de pêche que tu aimes tant ? J’ai une soudaine envie d’en boire.
Giulia n’était sûrement pas dupe, mais on l’avait trop bien élevée pour qu’elle montre une quelconque rancœur à l’idée d’être exclue. Avec un sourire ravissant et un petit signe de tête, elle se retira prestement pour aller faire ce qu’on lui demandait.
Une fois la porte refermée le pape soupira profondément, puis se souleva du lit avec effort. Je détournai le regard, de crainte que le drap ne glisse, mais il le resserra fermement sous son large ventre et alla jusqu’à la fenêtre où une légère brise offrait un peu de répit par cette chaude nuit.
Dos à nous, il expliqua :
— L’homme que j’avais réussi à infiltrer dans la Fraternité a été repêché dans le Tibre il y a quelques semaines. On lui avait ôté les yeux et coupé la langue.
Je me souvins soudain de ce que Guillaume avait raconté à Rocco.
— Une mort similaire a causé une grande agitation chez les dominicains, récemment.
— C’en était un, reconnut Borgia, avant de se retourner pour nous faire face. En temps normal je me satisferais grandement de voir les chiens du Seigneur s’écharper entre eux, mais au vu des circonstances…
— Es-tu en train de nous dire qu’avec la mort de ton espion tu n’as pas la moindre idée de là où se terre Morozzi, ni du moyen de le joindre ? s’enquit César.
— Mais que crois-tu ? s’emporta Borgia. Que j’aurais une telle information en ma possession et la garderais pour moi ? Tu es devenu fou ou quoi ?
Le visage de César s’assombrit devant l’insulte, mais il garda son calme.
— Morozzi monte une fausse attaque contre une villa possédée par l’un des plus grands banquiers de Rome. Il tue un frère dominicain. Il suit partout l’empoisonneuse du pape, avant de se volatiliser. Il se sert d’une jeune écervelée pour discréditer ma sœur, et toi par la même occasion, de la façon la plus ignoble. Il va jusqu’à brûler vive une pauvre malheureuse au beau milieu de la piazza di Santa Maria. Et pour autant, personne n’a aucune idée de l’endroit où il est. Ah ça vraiment, c’est stupéfiant !
— Ventrebleu ! s’écria Borgia. Ne vous moquez pas de moi, jeune homme, ou vous pourriez le regretter !
Je fis un pas pour tenter de modérer César, mais m’arrêtai net en voyant son visage. Je ne savais que penser de l’intense mélange de douleur et de colère que j’y lus — et encore moins comment réagir face à cela.
— Tu es aveugle, rétorqua-t-il mais doucement, comme si parler était devenu un effort insurmontable. Délibérément aveugle.
Sur ce, il tourna les talons et sortit à grands pas de la chambre, manquant de se cogner à La Bella qui avait choisi ce moment entre tous pour revenir, une carafe ornée de perles dans les mains. Son sourire interdit fit rapidement place à un froncement de sourcils en voyant son cher et tendre plus contrarié encore que lorsqu’elle l’avait quitté. En sortant, je l’entendis vaguement dire que le cerveau masculin, vraiment, n’avait parfois rien à envier à celui du lombric.
Rattrapant César en bas des marches, je l’apostrophai :
— Que veux-tu dire par « délibérément aveugle » ?
Il
Weitere Kostenlose Bücher