Furia Azteca
pétales de tapachini que le vent de la nuit faisait virevolter dans la rue.
J'arrivai enfin au palais et j'y trouvai le petit Cozcatl qui m'attendait pour me montrer mes appartements. Le palais de Texcoco était beaucoup plus grand que celui de Texcotzinco - il comprenait un millier de pièces - bien qu'il n'y e˚t pas assez de place dans le centre de la ville pour que toutes ses annexes soient regroupées. Cependant, la superficie couverte par le palais était très étendue et même au milieu de la capitale, Nezahualpilli ne voulait pas renoncer à ses jardins et à ses fontaines.
Il y avait même un labyrinthe qui occupait un terrain assez grand pour faire vivre dix familles. C'était un ancêtre lointain de la famille royale qui l'avait planté et depuis, il n'avait cessé de pousser, mais on le taillait toujours avec soin. Il était formé d'une avenue bordée d'une impénétrable haie d'épineux qui avait deux fois la hauteur d'un homme, qui tournait, se divisait en plusieurs branches et revenait sur elle-même. Il n'y avait qu'un seul accès dans le mur de verdure extérieur, et on 209
disait que celui qui y pénétrait finissait, après de longs détours, par se trouver dans une petite clairière herbeuse, au centre du labyrinthe, mais que le chemin du retour était impossible à trouver. Seul, le vieux jardinier en chef en connaissait le secret qui se transmettait dans sa famille, de père en fils et que même le Uey tlatoani ignorait. Donc, personne n'avait le droit d'y entrer sans le vieux jardinier - sauf comme punition.
Parfois un malfaiteur était condamné à pénétrer seul et nu dans le labyrinthe. Au bout d'un mois, le jardinier y allait à son tour et ramenait ce qui restait de l'homme, mort de faim, déchiré par les ronces, picoré par les oiseaux et mangé par les vers.
Le lendemain de mon retour, tandis que j'attendais le début d'un cours, le Prince Saule s'approcha de moi. Après m'avoir souhaité la bienvenue, il me dit négligemment : " Mon père serait heureux de te recevoir dans la salle du trône, quand tu voudras, Tête Haute. "
" quand je voudrais ! " Avec quelle courtoisie, le plus noble des Acolhua convoquait-il le misérable étranger qui abusait de son hospitalité. Je quittai la classe immédiatement, courant presque le long des galeries, si bien que j'étais complètement à bout de souffle quand je m'agenouillai sur le seuil de la salle du trône pour faire le geste d'embrasser la terre. "
En votre auguste présence, Orateur Vénéré, dis-je alors.
- Ximopanolti, Tête Haute. " Comme je restais dans cette attitude d'humilité, il me dit, " Relève-toi, la Taupe. " Je me redressai, mais sans bouger de place. " Viens ici, Nuage Noir. " J'avançai lentement et respectueusement, alors il remarqua en souriant : " Tu as autant de noms qu'un oiseau qui vole au-dessus de tous les pays du Monde Unique et qui a un nom différent dans chacun d'eux. " II pointa son chasse-mouches vers l'une des chaises icpalli disposées en demi-cercle devant le trône et me dit : " Assieds-toi. "
Le fauteuil de Nezahualpilli n'était ni plus grand, ni plus impressionnant que le petit siège sur lequel je m'étais assis, mais il était placé sur une estrade, aussi fallait-il lever les yeux pour le regarder. La salle du trône était décorée de tapisseries de plumes et de peintures sur 210
panneaux, mais il n'y avait aucun mobilier en dehors du trône, des petites chaises pour les visiteurs et, devant le Uey tlatoani, une table basse en onyx noir sur laquelle était posé un cr‚ne d'un blanc brillant.
" C'est mon père, Nezahualcoyotl, qui l'a mis là ", me dit Nezahualpilli qui avait remarqué mon regard. " Je ne sais pas pourquoi. Peut-être, était-ce un ennemi vaincu qu'il se plaisait à regarder, ou un être cher disparu qu'il continuait à regretter, ou alors, il le gardait pour la même raison que moi.
- Et quelle est cette raison, Seigneur Orateur ? demandai-jCi
- C'est dans cette salle que se présentent les émissaires porteurs de menaces de guerre ou d'offres de traités de paix, les plaignants qui viennent m'exposer leurs griefs et les personnes qui quémandent des faveurs. Lorsque ces gens me parlent, leurs visages ont parfois une expression de colère, de tristesse ou de feinte dévotion. Voilà pourquoi, quand je les écoute, ce n'est pas eux que je regarde, mais ce cr‚ne.
- Et pourquoi donc, Seigneur ?
- Parce que c'est la figure la plus propre et la plus honnête qui
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