Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
d’un jeune général, à la tête de son armée, une démarche à la Cromwell, et dès ce moment la réputation de La Fayette, jusque-là ménagée par ses adversaires, commença à être attaquée. Du reste, à ne considérer cette démarche que sous son rapport politique, elle était imprudente. La Gironde, repoussée du ministère, arrêtée dans ses mesures de salut public, n’avait pas besoin d’être excitée davantage, et il ne fallait pas non plus que La Fayette, dans l’intérêt même de son parti, usât son ascendant à pure perte.
La Gironde songea, pour sa sûreté et celle de la révolution, à reconquérir la puissance, sans sortir cependant encore des moyens constitutionnels. Son but ne fut point, comme plus tard, de détrôner le roi, mais de le ramener au milieu d’elle. Pour cela elle recourut aux pétitions impérieuses de la multitude. L’emploi de cette violence populaire était très-condamnable ; mais on se trouvait, de part et d’autre, placé dans une situation extraordinaire, et chacun se servait d’un moyen illégal : la cour, de l’Europe ; la Gironde, du peuple. Celui-ci était dans une très-grande agitation. Les meneurs des faubourgs, au nombre desquels étaient le député Chabot, Santerre, Gonchon, le marquis de Saint-Hurugues, le préparèrent pendant plusieurs jours à un acte révolutionnaire semblable à celui qui n’avait pas réussi au Champ-de-Mars. Le 20 juin, anniversaire du serment du jeu de paume, approchait. Sous le prétexte de célébrer, par une fête civique, cette mémorable journée, et de planter un mai en l’honneur de la liberté, un rassemblement d’environ huit mille hommes armés partit, le 20 juin, du faubourg Saint-Antoine, et se dirigea vers l’assemblée.
Le procureur-syndic, Rœderer, vint le dénoncer à l’assemblée, et, pendant ce temps, les insurgés arrivèrent aux portes de la salle. Leurs chefs demandèrent à présenter une pétition et à défiler devant l’assemblée. De violents débats s’élevèrent entre la droite, qui ne voulait pas recevoir des pétitionnaires armés, et la gauche, qui, se fondant sur quelques usages, était d’avis de les admettre. Il était difficile de se refuser aux désirs d’une multitude exaltée, immense et secondée par la majorité des représentants. La députation fut introduite. Son orateur s’exprima dans un langage menaçant. Il dit, que le peuple était debout ; qu’il était prêt à se servir de grands moyens, des moyens renfermés dans la déclaration des droits, résistance à l’oppression ; que les dissidents de l’assemblée, s’il y en avait, purgeassent la terre de la liberté, et se rendissent à Coblentz ; et puis, venant au véritable objet de cette pétition insurrectionnelle : « Le pouvoir exécutif, ajouta-t-il, n’est point d’accord avec vous ; nous n’en voulons d’autre preuve que le renvoi des ministres patriotes. C’est donc ainsi que le bonheur d’un peuple libre dépendra du caprice d’un roi ! Mais ce roi doit-il avoir d’autre volonté que celle de la loi ? Le peuple le veut ainsi, et sa tête vaut bien celle des despotes couronnés. Cette tête est l’arbre généalogique de la nation ; et, devant ce chêne robuste, le faible roseau doit plier ! Nous nous plaignons, messieurs, de l’inaction de nos armées ; nous demandons que vous en pénétriez la cause : si elle dérive du pouvoir exécutif, qu’il soit anéanti ! »
L’assemblée répondit aux pétitionnaires qu’elle prendrait leur demande en considération ; elle les invita ensuite au respect pour la loi et pour les autorités constituées ; et leur permit de défiler dans son sein. Ce cortège, composé alors d’environ trente mille personnes, mêlé de femmes, d’enfants, de gardes nationaux, d’hommes à piques, et du milieu duquel s’élevaient des bannières et des signes tout-à-fait révolutionnaires, traversa la salle en chantant le fameux refrain : Ça ira , et en criant : Vive la nation ! vivent les sans-culottes ! à bas le veto ! Il était conduit par Santerre et par le marquis de Saint-Hurugues. Au sortir de l’assemblée, il se dirigea vers le château, ayant les pétitionnaires en tête.
Les portes extérieures en furent ouvertes par l’ordre du roi ; la multitude se précipita alors dans l’intérieur. Elle monta dans les appartements ; et, tandis qu’elle en ébranlait les portes à
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