Histoire du Japon
évoquent font plutôt le triste récit de leurs échecs et de leurs déceptions. Ils ont perdu leurs illusions, mais dans leur recherche d’une maîtresse idéale ils semblent infatigables. Le lendemain, raconte Murasaki, Genji rentra chez lui pour voir sa femme, la princesse Aoi, à laquelle il n’avait pas rendu visite durant sa longue période de service au palais. Il fut accablé par la perfection de sa beauté et de sa nature, sa hautaine dignité qui semblait rendre toute intimité impossible.
Le reste de ce long roman est consacré aux amours de Genji jeune homme, puis à ses relations avec ses épouses, ses maîtresses et ses enfants, et enfin aux vies de ses descendants après sa mort. Lui-même incarne la perfection virile. Il est de naissance noble, très riche, exceptionnellement beau, sage et spirituel, aimable et généreux, enjoué et prévenant. Il est quasi irrésistible, et connaît de^ ennuis permanents. Peut-être est-il significatif que la seule qualité qu’on ne relève pas chez lui soit le courage. La plupart des romans d’alors restent muets sur cet aspect du caractère de leurs héros, sans doute parce qu’un gentilhomme Fujiwara considère les exploits guerriers comme l’affaire des professionnels.
D’abord, Genji semble être un sybarite impénitent, et ses audacieuses aventures ont parfois de tragiques conséquences. Il brise le cœur de la femme d’un gouverneur de province que son haut rang a éblouie. La belle Yùgao meurt en pleine nuit, ensorcelée ou possédée par un démon. Une intrigue avec la dame Fujitsubo, épouse de l’empereur, le conduit à deux doigts de la ruine lorsqu’on découvre que son enfant ressemble à Genji et non pas à l’empereur.
Mais à mesure que le récit progresse et que Genji avance en âge – il a dix-sept ans au début du roman –, sa conduite devient moins scandaleuse. Il se montre plus sage et plus compatissant, plus sincère dans ses attachements. En fait, derrière la légèreté de sa conduite apparaît une tendresse réelle, en sorte que cette grande œuvre, qui commence comme une morne épopée de la séduction, laisse peu à peu percer une note de tristesse et se transforme en une passionnante étude des rapports humains, une chronique de la mélancolie rehaussée par un sens aigu du beau. Les larmes coulent volontiers. L’amant irrésistible est profondément pessimiste, accablé par le sentiment du malheur, par le poids d’un karma fatal. A trente ans, on le voit hanté par la précarité des choses terrestres, sur le point d’entrer dans la vie monacale.
Les extraits suivants du Roman de Genji sont présentés à titre documentaire, l’ouvrage entier étant une source inépuisable de renseignements sur l’histoire sociale. Certains historiens, japonais aussi bien qu’étrangers, ont tendance à traiter très durement la classe dirigeante de Heian, qualifiant notamment les courtisans et fonctionnaires d’engeance pullulante de dilettantes cupides, vains et frivoles, d’une licence souvent scandaleuse, complètement émasculés, incapables de rien de valables. C’était certes une société polygame, et qui cultivait le plaisir ; mais on ne peut guère la condamner comme avilie. Elle était élégante et artiste, portée aux exercices pieux, et, comme en témoignent les admonestations de Kujôden, elle avait un côté puritain. Même la licence admise, ou si l’on veut encouragée, devait rester dans les limites de la modération, comme l’atteste cette réprimande que le vieil empereur (son père) fait à Genji : « A l’avenir, ayez soin d’éviter les comportements indiscrets. Si vous donnez libre cours à vos moindres penchants amoureux, vous vous trouverez en butte à des critiques hostiles. Dans une aventure amoureuse, la femme, quelle qu’elle soit, doit être bien traitée et non mise dans une position humiliante. Prenez garde à lui épargner toute cause d’amer ressentiment. »
Genji écoute la leçon en silence. Il a conscience de mener une vie dissipée. Pourtant – et c’est là une des clés de la vie émotionnelle de ceux qu’il représente –, il se dit en lui-même : « Je sais que même en ce moment, la vue de quelque chose de très beau, ne s’agirait-il que d’une fleur ou d’un arbre, pourrait redonner à la vie tout son sens et sa réalité. » L’histoire entière, même dans ses plus sombres épisodes, témoigne de cette jouissance esthétique. Le discours amoureux est
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