Histoire du Japon
émotif, et enclin au pessimisme. La plupart des poètes comme des héros et des héroïnes de roman (qu’on peut considérer comme représentatifs des idéaux contemporains) insistent sur la fugacité de l’existence humaine et le caractère illusoire des plaisirs terrestres. L’atmosphère de l’époque, si l’on peut se permettre d’employer ce langage, est loin de l’esprit frais et innocent dont est empreinte l’ancienne poésie de Nara. Dès la fin du Xe siècle, elle tend à la mélancolie. Les poètes ne chantent plus les joies de l’amour, mais déplorent plutôt l’inconstance des amants ou la cruauté du destin. Les fleurs printanières et la lune automnale n’éveillent que des pensées mélancoliques sur le « mono no aware » ou la « pitié des choses », et cette expression quelque peu forcée peut presque être considérée comme la note dominante de l’époque.
Ceux qui savent écrire, et notamment ceux qui tiennent un journal intime, aiment à exprimer le dégoût du monde. Ils nous disent devoir renoncer à la vaine recherche du plaisir et se retirer dans un monastère ou dans une retraite montagnarde où ils puissent mener une sainte existence et s’occuper de leur salut. Toutefois, ils ne sont pas très convaincants, et les vrais dévots se méfient de ce gei re d’aveux et remarquent aigrement que ce qui les inspire n’est pas la foi mais le désir d’être à la mode 25 . Ce qu’ils veulent réellement, ce sont les plaisirs dans ce monde et la béatitude dans le prochain ; et le sentiment dominant étant celui-là, il n’y a pas lieu de s’étonner que la doctrine de la Terre pure ait trouvé un accueil aussi chaleureux. Elle promettait un paradis sans exercices spirituels ardus, disant à ses adeptes qu’ils n’avaient pas besoin de trop s’inquiéter du péché, car la miséricorde du Bouddha Amida était infinie. Il n’était pas question ici d’un « Grand Interdiseur, en sécurité au milieu de tous ses espions ». Ce qui comptait, c’était la foi et non les œuvres. Et ce nouveau culte d’Amida non seulement promettait le salut, mais encore faisait miroiter le bonheur dans cette vie. Il ne pouvait donc que séduire le Japonais moyen d’alors, superstitieux, sentimental, prompt à réagir à l’espoir aussi bien qu’à la peur.
Les développements ultérieurs des sectes amidistes sont assez étroitement liés aux changements politiques, et nous y reviendrons en temps et lieu. Pour l’instant, il nous suffira d’ajouter que le raisonnement théologique sur lequel se fondait la doctrine du nembutsu n’est en aucune façon aussi simple et direct que la formule sous laquelle il était présenté au commun des fidèles en puissance. Il était au contraire subtil et émouvant, et soulevait des questions complexes en matière de foi et de grâce. Les vieilles sectes l’attaquaient comme encourageant les méchants, mais il est clair que la doctrine de la Terre pure était parfaitement adaptée à son temps, où la plupart des gens avaient grand besoin des consolations de la religion.
Quant à ses effets sur la société de la cour, on devrait pouvoir en juger d’après un passage du journal de Murasaki Shikibu, où sont décrits les sentiments religieux d’une femme intelligente et qui connaît la vie. Le texte original est tant soit peu obscur, et les spécialistes ne s’entendent pas sur son sens précis ; mais son intention est suffisamment claire :
« En tout cas, je vais abandonner mon ancienne confiance en les prières et l’abstinence. Je réciterai seulement avec ferveur l’invocation à Amida Bouddha. Je ne ressens plus le moindre attachement pour aucune odieuse chose terrestre, quoique je sois sans doute encore promise à vaciller jusqu’au jour où je gagnerai les nuages. Ainsi j’hésite. J’approche l’âge de prononcer les vœux, et si je deviens très âgée, il n’y aura rien d’exceptionnel à ce que je ne lise pas les textes sacrés. Mon esprit aussi va probablement devenir de plus en plus vivant. Maintenant, bien que je paraisse imiter une personne très dévote, le fait est que je ne pense vraiment à rien qu’à mes dévotions. En outre, il n’est pas du tout certain qu’une personne comme moi, qui a gravement péché dans la première partie de sa vie, puisse réussir à devenir nonne. Maintenant que je suis avertie de mes méfaits dans une vie précédente, je suis pleine de tristesse. »
Elle veut dire
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