Histoire du Japon
pour rendre compte d’un phénomène complexe ; mais il est vrai que la fin des guerres civiles avait entraîné chômage et misère dans maintes professions et notamment privé les riches marchands et les fournisseurs de l’armée (« goyô-shônin ») d’affaires très lucratives. Certains historiens japonais sont d’avis que ces gens jouèrent un rôle déterminant dans le déclenchement de la campagne outre-mer. Ils seraient alors une nouvelle version des wakô, ces « libre-échangistes » du xve siècle. La chose est sans doute vraie pour maints d’entre eux, mais pas pour tous, car plusieurs parmi les principaux marchands de Sakai et de Hakata étaient opposés à la conquête de tout territoire étranger. Ils estimaient que le commerce légal était plus lucratif, et s’ils avaient parfois recours à des pressions pour ouvrir de nouveaux marchés sur le continent ou dans les îles du Sud, ils étaient ennemis de la guerre. Une reprise du commerce régulier entrait toutefois sûrement parmi les buts de l’attaque projetée contre la Chine.
Mais il faut se souvenir que, des années avant 1590, Hideyoshi avait souvent dit (et Nobunaga avant lui) qu’il avait l’intention d’assujettir la Chine aussitôt qu’il aurait réglé à son gré les affaires intérieures. Il n’avait alors mentionné d’autre but à ce projet que la satisfaction de son orgueil et de son ambition. Il appartenait à la classe des grands conquérants – comme Tamerlan ou Gengis Khân –, mais il n’avait pas compris qu’en matière de ressources, le Japon ne pouvait pas rivaliser avec une grande puissance continentale comme la Chine. Il était trop habitué aux victoires remportées chez lui.
Les dernières années de Hideyoshi
LES AFFAIRES INTÉRIEURES
La guerre dite de Corée était en fait la première phase d’une guerre contre la Chine, et elle s’acheva par une défaite. Quand, dans sa rage, Hideyoshi ordonna de renouveler l’attaque en 1597, il devait certainement souffrir d’un dérangement mental. Sa conduite hâtive offrait un flagrant contraste avec l’efficacité calme et patiente dont il avait toujours fait preuve sur les sujets d’une importance vitale, comme en conduisant la campagne du Kyüshü contre Shimazu ou en traitant avec les guerriers du Kantô. L’histoire de ses dernières années semble confirmer cette hypothèse.
Certaines de ses lettres de Nagoya à sa mère et sa femme révèlent une confiance en soi immense. Dans une lettre du 14 juillet 1592 où il s’enquiert tendrement de la santé de sa vieille mère, il lui dit que Seoul est près de tomber et qu’à l’automne il pourra recevoir ses cadeaux dans la capitale de la Chine. Sur le même ton et par la même occasion il écrit à sa femme, disant qu’il entend se rendre en Corée lui-même afin d’y prendre le commandement de l’expédition en Chine. Ces nouvelles inquiétèrent les membres de sa famille alors à Kyoto, qui prièrent la cour de le retenir. L’empereur Go-Yôzei envoya une gentille réprimande à Nagoya. Cette démarche avait l’appui des grands généraux, notamment Tokugawa Ieyasu et Maeda Toshiie, qui estimaient que « le Taikô devait être possédé par un renard », selon une expression proverbiale qualifiant une conduite étrange. Il céda et remit son voyage en Corée jusqu’au printemps suivant afin d’échapper aux tempêtes de l’hiver. Inquiet de la santé de sa mère, il décida de lui rendre une brève visite à Osaka, et, le 30 août, il s’embarqua pour Shimonoseki, se hâtant vers l’Est. Mais sa mère était morte le même jour, et lorsqu’il arriva à Osaka on dit qu’il s’évanouit de chagrin en apprenant la nouvelle. L’affection qu’il avait pour sa mère était l’un de ses sentiments les plus forts.
Quand elle fut malade en 1588, ce grand despote s’en remit aux puissances célestes, suppliant les dieux vénérés dans les grands sanctuaires de l’épargner « pendant trois ans, ou deux ans, ou, si cela ne devait pas être, pour trente jours seulement ».
Une lettre intéressante, écrite à la fin de 1592, est adressée à Maeda Geni, qui était resté à Kyoto pour s’occuper des affaires intérieures. Hideyoshi ordonne à Maeda de venir en hâte à Nagoya pour discuter de certains détails touchant la construction du palais de Fushimi, apparemment soucieux de sa stabilité au vu de la fréquence des tremblements de terre dont avaient récemment souffert
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